mardi 21 août 2018

Auteurs indépendants : arrêtez de complexer !





L'auto-édition n'a pas toujours bonne presse. Nombreuses sont les personnes à ne pas considérer l'auto-édité comme un écrivain à part entière. Sa réputation est celle d'un raté, refusé par toutes les maisons d'édition, un mauvais écrivain qui multiplie les fautes d'orthographe, au style lourd et aux histoires stéréotypées et inintéressantes. Tout cela est sans doute vrai pour certains, c'est clair. Il faut dire que le phénomène internet a propulsé au devant de la scène des personnes qui maîtrisent les outils de la web-communication et beaucoup d'entre eux en ont profité pour mettre en avant leurs propres livres. Vous trouverez d'ailleurs ces conseils sur les sites de commerciaux de la toile, du style : comment se faire de l'argent sur le net. Inévitablement, ils vont dire : auto-publiez un livre. On a ainsi profusion de romans avec des couvertures commerciales bien travaillées mis en avant sur des blogs qui font la première page de recherche google. Évidemment, ces gens-là n'étant pas de vrais écrivains, leurs productions littéraires sont mauvaises, calquées sur les séries et les films qu'ils ont vus. Ils donnent bien mauvaise réputation aux écrivains indépendants.



Néanmoins, il faut se garder de faire des amalgames faciles. Premièrement, parce qu'il ne faut jamais généraliser. Les maisons d'édition refusent 90% des manuscrits acceptés par leurs comités de lecture, certaines maisons d'ailleurs ne publient pas de nouveaux auteurs. Vous vous doutez bien que parmi les 90%, nombreux sont les bons auteurs qui ne seront jamais publiés. D'autre part, les grosses maisons d'édition ont compris depuis quelques années qu'il est moins cher pour elles d'attendre un succès auto-édité et de lui proposer un contrat. Vous vous doutez bien, en outre, qu'il existe aussi de bons auteurs farouchement opposés au système des maisons d'édition qui s'engraissent sur le dos de ceux qui travaillent vraiment, ce phénomène est d'ailleurs général dans la mondialisation actuelle : si vous êtes producteur, les gros intermédiaires vont s'enrichir sur votre travail et vous ne récoltez que les miettes : les paysans sont pris à la gorge et bien d'autres secteurs professionnelles encore. Diriez-vous qu'un paysan qui n'arrive plus à boucler ses fins de mois parce que les prix ont chuté est un mauvais paysan ? Ou diriez-vous que les grossistes et les grandes surfaces qui augmentent les prix pour le consommateur de l'autre côté ont en quelque sorte escroqué tout le monde ? Pour le monde de l'écriture, c'est la même chose : vous, le lecteur, demandez-vous comment vous avez appris l'existence d'un roman : en général avec la télévision, ou en allant faire vos courses au supermarché, vous n'avez pas manqué les cinquante bouquins du dernier Musso alignés devant une grande photographie de l'auteur faite par un professionnel. De même avec la plupart des librairies, en passant devant la vitrine dans la rue, votre œil a été attiré par la dizaine de livres des grandes maisons d'édition. Sur internet, vous tapez "roman fantasy" ou "roman historique", ou autre, sur le net et vous regardez ce qu'on vous propose sur la première page google. Vous vous doutez bien que pour être visible, un livre a nécessité une campagne marketing extrêmement coûteuse. Ainsi, votre choix est-il décidé en amont par des commerciaux. En général, vous, lecteurs, ne connaissez pas le véritable choix qui s'offre à vous. La situation du monde artistique en général n'est pas reluisante. J'ai découvert tout seul et un peu par hasard qu'Anne Sylvestre n'avait pas arrêté dans les années 80 comme je le croyais et que ses chansons ont toujours été excellentes. A cause du silence médiatique, la majorité des gens passent à côté de chefs d’œuvres et c'est bien dommage.
















En réaction, bon nombre de bons auteurs indépendants essayent de redorer le blason de l'auto-édition auprès du grand public. Leur problème est que bien souvent, ils ont eux-aussi intériorisé le complexe d'infériorité vis à vis du monde de l'édition et leur envie consiste à ressembler à des auteurs édités, réclamant des labels de qualité, des médias alternatifs pour parler d'eux, des réseaux de distribution et l'aide de professionnels du marketing pour les mettre en avant. A mon avis, il est temps d'oublier la différence entre auteurs auto-édités et édités, temps de ne plus catégoriser de cette façon, temps de se décomplexer. Vous pensez que j'exagère ?


Alors je vous lance un défi : ci-dessous, vous trouverez des extraits de romans récents, la moitié sont des auteurs édités par de grandes maisons d'édition comme Fayard ou Gallimard, l'autre moitié sont des auteurs indépendants. Arriverez-vous à déceler (sans connaître ces récits au préalable) qui est indépendant et qui ne l'est pas ? Bien sûr, ce ne sont que des extraits, ils ne reflètent qu'une qualité stylistique, et pas la qualité du scénario par exemple. Néanmoins, ça va certainement casser vos préjugés sur ce qu'éditent les grosses écuries de l'édition. Pour preuve, en fin d'article, je vais décortiquer l'extrait d'un des romanciers français les plus connus, ceci afin de vous prouver que je ne mens pas : il y a vraiment des écrivains médiocres au niveau littéraire qui sont publiés. Alors pourquoi jeter la pierre aux écrivains médiocres auto-publiés ? Voici les extraits, top c'est parti, (réponses tout en bas de l'article) :


Extrait 1 :


Arthur caressa le marbre blanc et s'assit sur la pierre encore empreinte de la tiédeur du jour. Le long du mur qui borde la tombe de Lili, pousse une vigne. Elle donne chaque été quelques grappes d'un raisin que picorent les oiseaux de Carmel.
Arthur entendit crisser des pas sur le gravier, il se retourna pour voir Paul qui s'asseyait devant une stèle à quelques mètres de lui. Son ami, se mettait, lui aussi, à parler sur le ton de la confidence.
-Ça ne va pas très fort, hein, madame Tarmachov ! Votre sépulture est dans un état, c’est une honte ! Ça fait si longtemps, mais je n'y suis pour rien, vous savez. A cause d'une femme dont il voyait le fantome, l'abruti là-bas avait décidé d'abandonner son meilleur ami. Bon, enfin voilà, il n'est jamais trop tard, et j'ai apporté tout ce qu'il fallait.
D'un sac d'épicerie, Paul sortit une brosse, du savon liquide, une bouteille d'eau et commença à frotter énergiquement sur la pierre.
-je peux savoir ce que tu es en train de faire ? demanda Arthur. Tu la connais, cette madame Tarmachov ?
-Elle est morte en 1906 !
-Paul, tu ne veux pas arrêter tes idioties deux secondes ? C'est un lieu de recueillement ici quand même !
- Eh bien je me recueille, en nettoyant !
-Sur la tombe d'un inconnue ?
-Mais ce n'est pas une inconnue, mon vieux, dit Paul en se relavant. Avec le nombre de fois où tu m'a forcé de t'accompagner au cimetière pour rendre visite à ta mère, tu ne vas quand même pas me faire une scène de jalousie parce que je sympathise avec sa voisine !




Extrait 2 :

Pendant ce temps, le Labrong affrontait les nymphes Hespérides qui venaient de surgir dans la grotte, donnant libre cours à leur courroux divin. Atlas n'aurait pas reconnu ses filles dans ces beautés sanglées de cuir noir, genre héroïnes de mangas pour messieurs en mal de fessée (mais WOB attirait, il est vrai, plus de geeks célibataires que d'étudiantes en mythologie).


Extrait 3 :

Dardalion quitta la salle et se rendit dans une petite pièce attenante où il retira son tablier maculé de sang. Il versa de l’eau qui se trouvait dans un seau en bois dans un bol en émail et se lava rapidement ; puis, il s’habilla. Il commença d’enfiler son plastron, mais au moment de l’attacher, le poids l’accabla et il préféra laisser son armure sur sa paillasse. Il partit dans un couloir où il faisait frais. En atteignant les portes ouvertes qui donnaient sur la cour, les bruits de la bataille l’assaillirent – des épées qui s’entrechoquaient, des cris bestiaux, des ordres qu’on criait, les plaintes des mourants.


Extrait 4 :

" C'est vrai : elle aime les tours de magie; elle a toujours aimé ça. Et elle sait pourquoi. Parce que la vie , c'est comme un tour de magie. Quand on est enfant, on ne voit que le devant de la scène. C'est fabuleux, on s'émerveille, on se pose des questions, on a envie d'en savoir plus. Et puis, on grandit. Peu à peu, les coulisses se dévoilent, on réalise que c'est compliqué. C'est moins joli, c'est même parfois moche, on est déçu. Mais on continue quand même à s'émerveiller."


Extrait 5 :


Un homme d’une cinquantaine d’années au regard inquiétant, aux cheveux hirsutes, à la barbe de trois jours, se lève et vient se planter les bras en croix au milieu de la piste ; l’orchestre s’arrête alors de jouer, un silence de quelques secondes permet à la foule de fixer son attention sur le personnage, puis, quelques notes en suspension frappent l’air et donnent le la.
Dès lors, une trentaine de femmes mettent genoux à terre et frappent dans leurs mains en cadence, un autre homme plus jeune a pris sur le comptoir, une pile d’assiettes en porcelaine blanche, le danseur fait un pas de côté, puis un autre de l’autre côté, oscillant comme un marin ivre, de droite à gauche, d’avant en arrière, au rythme de la musique, tout d’abord lancinante, puis de plus en plus rapide.  Il ne semble pas que notre homme accélère sa danse mais on peut observer qu’il est toujours en rythme ; il danse sous les claquements des mains des femmes qui l’entourent et chaque fois que l’homme plus jeune fracasse une assiette par terre, elles crient.
 — Opa !

Le spectacle est fabuleux ! Notre équilibriste fléchit les genoux et vient mordre à pleines dents dans une chaise de bois qu’il porte par la mâchoire dans sa danse, la foule s’est jointe aux cris des femmes.

— Opa !

Ma belle grecque est comme illuminée et portée en transe dans la danse : je grave les contours de son visage à cet instant, à jamais dans ma mémoire. Quand soudain, le danseur trouvant sans doute la chaise trop vide, l’échange contre celle d’Alexandra, avec elle assise dessus ! Elle est toute la Grèce ! Splendide, joyeuse, éternelle, dans sa beauté.


Extrait 6 :

Ce soir-là, ils rentrèrent tôt, sans s’enivrer comme à leur habitude chaque week-end. Ils devaient s'assurer qu'ils avaient tout le matériel : vêtements de camouflage, fusils, couteaux, ceinture à gibier, bottes, sifflets à ultrason et à oiseaux, gibecières, talkies-walkies, filets, quelques bâtons de dynamite, cartouchières, gourdes, boussoles, cartes.
Lucien s'occupait des affaires de Jules, étant donné que celui-ci avait à peine la place dans sa R21 pour embarquer la nourriture pour le groupe mais surtout les packs de bière, car pour une chasse comme celle-ci, il fallait au minimum trois packs par personne sans compter les cubiques de rosé et quelques bouteilles de Pastis. Lorsque Pierrot rentra chez lui, il trouva sa femme en train de respirer comme une chienne en chaleur.
— Mais qu'est-ce qui te prend la Julie, ça va pas ?

Julie se calma quelques secondes pour répondre :
 — Il faut que tu m'amènes à l'hôpital, j'vais accoucher.

Pierrot s'énerva :
— Ah ça c'est typiquement de toi, me faire ça la veille de ma grande chasse ! Si tu crois que j'vais quitter la chasse pour ton troisième chiard, tu peux rêver, j'te dépose à la clinique et j'rentre.



Extrait 7 :
 
Le bâtiment de briques rouges, situé en bordure de scène, quai de la Rapée, était un peu la deuxième maison des flics de la Criminelle. L’antichambre des enquêtes. On y découpait du cadavre à tour de bras, des noyés retrouvés au fond de la Seine, des pendus, des accidentés, des « pourris » qu’on ramassait parfois après des semaines, morts seuls chez eux sans que personne s’en aperçoive. Sharko ne comptait même plus le nombre de fois où il était venu dans ces couloirs glauques ni la quantité de tripes à l’air qu’il avait pu apercevoir. Ces horreurs faisaient partie de son quotidien, comme lorsqu’on va acheter sa baguette le matin.
Chénaix vint le chercher, ils se saluèrent dans les ténèbres du bâtiment. Sharko s’était depuis longtemps habitué aux cadavres, mais jamais aux odeurs qui imprégnaient les murs et saturaient l’air. La mort puait. Certes on s’y faisait au bout de cinq minutes, mais le cap n’était jamais simple à franchir.



Extrait 8 :


Alors l’entraînement débute. Celui qui court le plus vite, frappe le plus fort, tire avec le plus de précision et pisse le plus loin est promu soldat du jour. En récompense de ses exploits, on lui plante une plume de coq sur le casque.
La cloche de bronze de quatorze heures annonce le début des hostilités. Tous se retrouvent devant les séculaires remparts de Troie, aux lourdes portes forgées, décorées pour l'occasion des têtes de nos anciens frères d'armes, plantés sur des piques.
Les deux armées – du moins ce qu'il en reste –, se plantent face à face et s'invectivent : chiens de Troyens, ta mère s'enfile le Péloponnèse, et autres coutumières insultes pour se monter le bourrichon et trouver du cœur à l’ouvrage. En dix ans de guerre, on en vient à connaître ses ennemis mieux que ses maîtresses, à les appeler par leurs prénoms, à préférer certains adversaires, à se donner des rendez-vous sur le champ de bataille.

Extrait 9 :

Lanya se redressa et laissa le feu démoniaque s'écouler de ses paumes ouvertes. Il se déversa sur Mélia par vagues, puis elle rapprocha de l'inquisitrice en flamme les trois artefacts sombres.
Les traits de la jeune femme étaient déformés par la souffrance. Ses pouvoirs tentaient tant bien que mal d'apaiser les brûlures qui couvraient l'intégralité de son corps.
Lorsque la brume la submergea, elle se retrouva dans un univers lugubre, où la lumière du soleil ne parvenait qu'à travers d'épais nuages noirs.
Lanya attendait à ses côtés et lui expliqua :
-- Nous sommes dans un monde lié à l'Enfer. Ici, personne ne te viendra en aide et tu passeras tes journées à te consumer lentement et tes nuits à te soigner grâce à tes dons de guérisseuse. Je gage que tu pourras survivre ainsi plusieurs années. Tu disposes d'une très grande quantité de magie en toi, je le reconnais. Une fois vidée de tes pouvoirs, ce feu maléfique te dévorera corps et âme, ne laissant de ta personne qu'ombre et poussière.

Extrait 10 :

Je restais encore dix minutes pour terminer mes signatures et échanger quelques mots avec la responsable du magasin.
-Vous pouvez sortir par-derrière, me dit-elle.
Elle avait commencé à descendre son rideau de fer lorsqu'on frappa à la vitre. Une lectrice retardataire agita son exemplaire, joignant ses mains en prière pour qu'on la laisse entrer.
Après m'avoir interrogé du regard, la libraire accepta de lui ouvrir. Je dévissais le capuchon de mon stylo et me remis à ma table.
-Je m'appelle Sarah ! dit la jeune femme en présentant son ouvrage.
Tandis que je dédicaçais son livre, une autre cliente profita de la porte ouverte pour pénétrer dans la librairie.
Je rendis son exemplaire à "Sarah" et, sans lever les yeux pris le livre suivant.
-C'est pour qui ? demandais-je.
-Pour Lilly, me répondit une voix douce et posée.
Emporté par mon élan, j'allais orthographier son nom sur la première page lorsqu'elle ajouta :
-Mais si tu préfères Billie...
Je levais la tête et compris alors que l'existence venait de m'offrir une seconde chance...



Réponses :


Extrait 1 : Vous revoir, Marc Levy (édité)


Extrait 2 : Elie et l'apocalypse, Elen Brig Koridwen (indépendant)


Extrait 3 : David Gemell, cycle de Drenaï (édité)


Extrait 4 : Le premier jour du reste de ma vie, Virginie Grimaldi (édité)


Extrait 5 : Alexandre Barridon, Les voyages érotiques (indépendant)


Extrait 6 : Patricia Epstein, Ligue d'Outre-Tombe, Corps de Chasse (indépendant)


Extrait 7 : Sharko, Frank Thilliez (édité)


Extrait 8 : Eric Abbel, Mytho (indépendant)


Extrait 9 : Armort le Prophète, Pascal Letteron (indépendant et édité dans de petites maisons d'édition)


Extrait 10 : Musso, La fille de papier (édité)



Maintenant, analysons la qualité stylistique de l'extrait du grand Guillaume Musso, un des auteurs édités qui vend le plus en France aujourd'hui. Il a bénéficié des corrections, des relectures de la part de professionnels aguerris, son texte devrait donc être sans tâche.


D'abord, j'ai passé ce petit extrait à Repetition-Detector. Normalement, un texte aussi court travaillé et relu ne devrait pas avoir de répétions, mais là, je trouve cinq fois la conjonction "pour". Je ne sais plus qui disait qu'il fallait éviter trop de "mais où et donc or ni car" dans un texte littéraire. Quoi qu'il en soit, ces conjonctions sont utiles dans une dissertation d'étudiant, et peuvent nuire à la beauté d'un texte.


Au niveau du vocabulaire utilisé par l'auteur, les mots sont tous basiques, sans exception. Je ne dis pas qu'il ne faille pas en mettre dans son roman, je dis que ne mettre que ça reflète un niveau littéraire moyen, voire médiocre. Sans doute est-ce pour s'adapter au niveau de français de son lectorat.


Dans cet extrait, pas d'images, pas de métaphores, pas de descriptions, on reste concentré sur ce qui se passe, comme dans un scénario de film. Côté émotionnel, le narrateur ne se lâche qu'à la dernière phrase et encore, il ne fait que susciter notre intérêt pour la suite, on ne plonge pas dans les méandres de ses pensées ni dans le chaos de ses émotions, d'ailleurs les dialogues sont très neutres, sinon sans intérêt. Cette scène, pourtant pivot du roman, aurait pu être écrite en deux lignes et deux dialogues, tout le reste n'est que remplissage. Quand on pense qu'avec des scènes écrites comme ça, Musso a vendu plus d'un million d'exemplaires, on comprend l'importance du marketing. Et là, je dis aux auteurs indépendants : arrêtez de complexer !

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