samedi 17 août 2019

Sortie de Face à la Mort sur BoD

Mon nouveau roman, Face à la Mort, est enfin prêt... déjà disponible sur BoD et bientôt sur toutes les plates-formes et les librairies de France et de Navarre.

https://www.bod.fr/librairie/face-a-la-mort-mickael-glenn-9782322132973

J'ai tant subi avec cette femme que je pars m'engager auprès des Peshmergas pour disparaître et pour mourir car je ne suis plus rien qu'une ombre, un mort-vivant, un oiseau sans ailes.


Si j'ouvre le chemin vers mon coeur, je ne survivrai pas, tu comprends ? J'ai tout enfoui quelque part, j'arrive pas à sortir tout ça de moi. Je me suis forgé une carapace, un blindage, c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour continuer à vivre.


Cette nuit les étoiles sont ivres, happées par le cosmos infini, elles dansent, et la lune en liesse en frémit de joie. Cette beauté me paraît imméritée quand je songe aux chairs qui pourrissent la journée sur cette terre de désolation. Je me dis que Dieu là-haut nous a abandonnés. 

Quelque chose au fond de moi hurle et veut forcer la porte, mais je me suis tellement fermé que je n'en possède plus la clef. Shevine, bien que ravagée par la souffrance, est passionnée, elle porte sa croix, et ça la rend plus belle. Shevine a les yeux qu'on aimerait avoir posés sur soi, la bouche des baisers qui nous manquent, la voix d'un ange qu'on n'oubliera jamais, et un caractère qui nous marque au fer rouge ; à l'image de son peuple, elle est une rose pleine d'épines.

Entre les horreurs de la guerre et les crimes de DAESH, Face à la mort est une histoire d'amour, un hommage au peuple kurde et à tous ceux qui sont allés se battre pour nos libertés.

jeudi 15 août 2019

Eliza de Varga





Eliza de Varga est une écrivaine de talent, dotée d'un grand humour et d'une jolie plume. Son style est délicieusement décalé, c'est une auteure qui aime jouer avec les mots pour notre plus grand plaisir.

Découvrez-là ! (enfin son livre, n'enlevez pas ses vêtements sans sa permission...)



Eliza de Varga

Ma biographie

Enfant de la balle, je passe mon temps sur les plateaux de télévision, dans les coulisses des théâtres. Je rentre à l’école « les Enfants du Spectacle » et joue très tôt.
Préférant la fraîcheur de l’encre aux UV des projecteurs, j'écris des chansons et plusieurs ouvrages dont « CQFD, Ce Que Femme Désire » chez J.C Lattès.
« Pensées, répliques et anecdotes » au Cherche-midi éditeur.
« La petite fille des coulisses » chez Stock.
Mon actualité ?
Décrocher la lune.

    Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras





    Mes yeux s'ouvrent, je me redresse dans ce vieux clic-clac. J'ai mal au dos car la mousse est si usée que je finis toujours par m'endormir sur la barre centrale. Je suis si fatigué et pourtant je n'ai rien à faire de mes journées. Des années que je galère de petits boulots en RMI, coincé dans ce petit studio dans un immeuble sale et nauséabond. J'entends les voisins du dessus qui hurlent. Je mets de l'eau à chauffer pour un café mais je m'aperçois que la boîte est vide. Tant pis, j'enfile une veste et je sors sur le palier. Dans l'escalier il y a cette odeur de pisse au milieu des effluves de cannabis qui me donnent la nausée. Faut dire que j'ai rien mangé. En bas ma boîte aux lettres défoncée et taguée déborde de publicités, j'ai l'estomac qui se noue car je redoute une facture ou deux.
    Crac, dans la cour j'ai encore marché sur une seringue de drogué. Je lève les yeux et regarde cet immeuble de béton gris et ce ciel blanc qui mine le moral. A certaines fenêtres, je distingue les rideaux bouger, l'ennui a rendu l’œil malsain.
    Je me rends au bancomat le plus proche, déjà plus d'argent sur mon compte, encore dix jours pour toucher le prochain RSA. La poisse, j'ai plus que quelques euros pour finir le mois. Je me passerai de café. Un tour à Pôle Emploi, toujours pas de job dans ma branche, je commence à écrire une lettre de motivation pour un CDD au SMIC, à force de mentir je me sens tomber dans la fosse des minables. Je mets la lettre en boule et je la jette dans une corbeille.
    Il est midi, je n'ai plus qu'à retourner chez moi pour me faire des pâtes nature et en plus maintenant il pleut et une voiture en passant m'éclabousse. Une journée pourrie dans une ville pourrie d'un pays pourri.
    Je traverse un parc, à cette heure fréquenté uniquement par les SDF. En les regardant je pense que si je baisse les bras encore, je finirai comme eux. Au moins pas besoin de lettre de motivation pour faire partie de leur bande. Perdu dans mes pensées, je trébuche sur un objet métallique et je m'étale de tout mon long dans l'herbe boueuse. Décidément c'est ma journée. En me relevant je découvre une sorte de vieille lampe à huile en fer, je la ramasse, on ne sait jamais des fois que l'électricité me soit coupée. Comme j'ai toujours beaucoup de chance, je m'aperçois que la lampe vaut que dalle.
    Arrivé sur le seuil de mon immeuble : mon voisin pisse contre ses volets... Tableau quotidien des désespérés dont je fais partie.
    L'eau chauffe dans la casserole. Je m'affale dans mon canapé, épuisé par les quelques km à pied parcourus, le moral dans les chaussettes. Je pue le chien mouillé. Je fais le tour du regard de mon unique pièce, pas le courage de nettoyer aujourd'hui et ce téléphone dépourvu de crédits qui ne sonne plus depuis des semaines. Je ne manque à personne, pas même à ma famille. La lampe, quelle idée saugrenue ai-je eu de ramener cette vieillerie dont aucune brocante ne voudra ? Je la manipule, il faudrait la faire reluire pour que son métal brille. L'eau boue, je vais mettre les pâtes, et au passage je ramasse une brosse de fer, soudain pris d'une envie de quelque chose. La lampe : je frotte avec la brosse et brusquement elle se met à briller comme une étoile. Je la tourne dans tous les sens : y a-t-il un interrupteur ou un éclairage quelconque ? Je recommence à frotter et maintenant ce sont des jets multicolores qui s'échappent de la lampe comme un feu d'artifice. Je la lâche de peur d'être brûlé mais il n'y a pas de danger. Une fumée tourbillonne à toute vitesse dans mon studio et une silhouette féminine sort de l'embout. Je n'ai pas fumé la moquette et pourtant je me retrouve face à une superbe créature : je n'avais jamais vu de femme si belle : des cheveux noirs aux reflets prune entouraient un visage d'ange à la peau parfaitement pure, des yeux verts pailletés d'or, et des lèvres pulpeuses. Un corps somptueux moulé dans une robe fuchsia d'un seul tenant dont la poitrine de fantasme semble vouloir déborder du décolleté. Ses formes voluptueuses sont trop idéales pour être humaines tant sa chute de reins, son ventre plat et la rotondité de ses fesses s'harmonisent dans la perfection. Ses cuisses ne sont que des brumes qui colimaçonnent en rétrécissant jusqu'à la lampe. Me voici tout ému de me retrouver face à ce monstre de charme. Avec mes cheveux gras et mes vêtements sales et non repassés, j'ai un peu honte.
    Elle tourne en s'allongeant démesurément pour explorer la pièce puis reprenant sa forme initiale écarquille ses yeux sulfureux et m'adresse un sourire qui ferait fondre la banquise :
    — Ah te voilà petit homme ! Je te fais grâce du blabla habituel... alors oui je suis un génie, et tu as droit à ce que j'exauce trois vœux, choisis bien et prends ton temps, j'ai horreur d'attendre des siècles qu'on daigne frotter la lampe et j'aime bien prendre du bon temps...
    Je me sens tout à coup dépassé par ses paroles, suis-je en train de rêver ?
    A mon air idiot, elle ajoute :
    — Je suis bien réelle, tu peux tout me demander, absolument tout, c'est la chance de ta vie, tu n'en auras pas deux comme celle-là, allez ! Si tu veux... je peux te suggérer deux trois idées comme ça : je peux faire de toi une star de la chanson et nous pourrions nous éclater dans une discothèque de Sofia !
    Aussitôt, je me retrouve vêtu et coiffé comme un chanteur de chaïga bulgare et me voilà en duo avec ma sublime compagne sur l'estrade d'une discothèque devant des milliers de fans. Puis l'instant d'après, me revoilà assis dans le creux de mon clic-clac aussi perdu qu'avant. Je réalise enfin que je suis en compagnie d'un authentique génie, comme celui des mille et une nuits et qui plus est, le génie est une femme magnifiquement sexy, capable de vouer les plus dévots des moines et des ayatollahs au diable.
    Mes vœux... évidemment mes vœux... j'en ai tellement bavé dans la vie, je sais même pas ce que ça fait d'avoir du pognon, la paix dans le monde, sauver les enfants … à d'autres ! Moi d'abord. Je demande à devenir très riche. Aussitôt mon génie s’exécute : me voici habillé des fringues les plus luxueuses dans une villa au bord de la mer et plage privée. Je parcours mon immense domaine avec elle qui me présente tout ce que je possède et nous marchons quelques pas sur un ponton de bois au bout duquel mouille mon yacht de milliardaire. Je n'en crois pas mes yeux, le bateau démarre et me voici au milieu de l'océan sous un soleil radieux avec ma créature qui se dore au soleil sur un transat. Elle lève ses lunettes de soleil pour me demander :
    —  Alors satisfait ? Il te reste deux vœux mon gars !
    Déjà ça commence bien, le pognon y a pas à dire, ça rend heureux n'importe quel pauvre. Fini les soucis, la peur des factures, les voisins, la solitude urbaine, et le sentiment d'être minable et un raté.
    Le problème à présent, quoi lui demander... à présent que je suis riche, je peux tout m'offrir moi-même. Je m'allonge un long moment pour réfléchir, sirotant un cuba libre au bord de la piscine du yacht. Je la regarde, elle est tellement belle, sa peau de pêche, ses courbes de reine, je la désire, je la veux, elle sera à moi.
    — Voici mon second vœu : je souhaite que tu sois toute ma vie ma femme.
    La génie plissa son front à tel point que je craignis que cela ne l'enlaidisse d'une ride.
    On me l'a jamais fait ça ! Es-tu sûr que tu ne préfères pas une vraie femme ? Ou alors un vœu plus noble comme aider les pauvres gens ? Car vois-tu je suis un génie, crois-tu qu'un homme soit heureux marié avec un génie ?
    — Si je te vœux ! Obéis génie !
    Elle soupira et d'un geste nonchalant :
    — Soit, tes désirs sont des ordres.
    Me voici maintenant dans une cathédrale en costumes de mariés entourés de milliers d'invités et devant le prêtre au moment d'échanger nos vœux. Ceux-ci faits, nous nous embrassons. Ses lèvres sur les miennes m'électrisent, je suis fou d'elle. Mon bonheur est total. Quels changements en si peu de temps.
    J'emmène la mariée sous les applaudissements à bord d'une Bugatti Veron vrombissante et nous partons en trombe jusqu'à notre villa pour notre nuit de noce. Mais voilà, au moment le plus érotique, je m'aperçois avec horreur qu'elle n'est pas tout à fait humaine et que je ne puis lui faire l'amour. Elle se met à rire :
    — Tu vois, je te l'ai dit : je suis un génie, pas une véritable femme... il te reste un vœu, tu peux encore changer tout ça et prendre une autre femme si tu le souhaites. Alors qui préfères-tu ? Salma Hayek ou Beyonce ? Dita Von Teese ou Megan Fox ?
    — Non c'est toi que je veux ! Mon dernier vœu : je souhaite que tu deviennes humaine et ainsi tu deviendras ma femme !
    La génie fait une moue réprobatrice, et d'un geste forcé, finit par réaliser mon ultime vœu.
    Ça y est, elle se transforme en véritable femme, ses jambes sont aussi magnifiques que le reste et je peux enfin terminer ma nuit de noce. Je vis un véritable conte de fée, quand je pense que le matin avait été si pitoyable...

    J'ouvre les yeux, elle dort encore dans notre lit. Qu'ils semblent loin mes jours heureux. Je me souviens : cet été dans cette villa de milliardaire et puis tout à coup les impôts qui me tombent dessus. Ils me demandent la source miraculeuse de mes revenus et comme je ne peux rien prouver, ils me prennent pratiquement tout. Et puis viennent les taxes sur mes biens immobiliers et sur mes véhicules, le style de vie, les caprices de ma femme, et voilà qu'on m'attribue des revenus que je n'ai pas, on m'imagine des comptes cachés aux îles Caïmans. Je ne sais pas me défendre, je n'ai jamais été riche, eux ils ont des combines, ils savent comment s'y prendre. Et je n'ai pas non plus d'amis dans le milieu pour me conseiller alors je finis ruiné, on saisit tous mes biens et mon compte est à sec. Retour à la case départ, je sors de l'immeuble, le même qu'avant, toujours aussi terne et mal fréquenté, de nouveau au RSA et chercheur d'emploi, toujours fauché, il pleut, une voiture m'éclabousse, je commence mal ma journée. J'ai pas envie de rentrer, on va encore s'engueuler, quand elle me voit, elle me maudit de l'avoir condamnée à cet enfer humain et passe son temps à me hurler dessus. Ça dérange les voisins. Mon petit génie a pris 20 kg en six mois, son teint s'est terni, les premières rides, la peau d'orange, le bide et les cheveux gras. Et puis elle se néglige et fait une dépression, passant ses journées devant la télé. D'ailleurs elle ne sait rien faire et n'ose même plus sortir. J'ai pas envie de rentrer, c'est une journée pourrie dans une ville pourrie d'un pays pourri.





    mercredi 7 août 2019

    Extrait de Face à la mort. Chapitre 16


    La carapace





    Cette nuit, les étoiles sont ivres, happées par le cosmos infini, elles dansent, et la lune en liesse en frémit de joie. Cette beauté me paraît imméritée quand je songe aux chairs qui pourrissent la journée sur cette terre de désolation. Je me dis que Dieu là-haut, nous a abandonné.

    Shevine et moi sommes allés nous retrancher dans une petite maison de pierre, aux enduits de terre, qui se confond avec le paysage. Nous bravons les règles habituelles de la vie de camp qui sépare les hommes et les femmes ; nous n'en avons plus rien à foutre.
    La température étouffante de la journée a à peine fraîchi, dehors une Lune pleine projette sa lumière, et le village, si décrépi au soleil prend une teinte des mille et une nuits. 

    Nous sommes assis en tailleur sur le tapis du salon, je bois du thé et mange un peu, alors qu'elle ne touche à rien de ce que nous avons préparé, confuse et contrite ; l'incompréhension et l'abattement enlaidissent son visage. Je ne pensais pas la voir dans cet état un jour. Tout à coup, elle m'assène des reproches comme des coups de masse :
    — Comment peux-tu manger tranquillement ? Tu ne ressens donc rien ?

    Je repose ma tasse calmement, je sonde au fond de moi, à la recherche d'une émotion que je pourrais lui faire partager, mais effectivement, rien ne m'atteint aujourd'hui, pas plus qu'hier en fait, alors je ne réponds rien.
    — Tu es insensible ? Ça ne te fait rien tous ces gens massacrés ?
    — J'ai pas envie d'en parler.
    — Mais pourquoi, pourquoi t'es toujours comme ça ? Y a qui au fond de toi ? Ton cœur, il est où ton cœur ?!

    Je réponds d'un silence gênant, elle me frappe des deux mains sur la poitrine.
    — Tu veux mourir... mais t'es déjà mort !

    J'arrête ses poings rageurs en lui attrapant les poignets, la voilà qui chavire, et je la ramène au creux de mes bras, fixant ses yeux mouillés de larmes de mes yeux résignés. J'arrive pas à parler, mais mon regard et l'expression de mon visage voudraient dire quelque chose comme ça :
    Si j'ouvre le chemin vers mon cœur, je ne survivrai pas, tu comprends? J'ai tout enfoui quelque part, j'arrive pas à sortir tout ça de moi. Je me suis forgé une carapace, un blindage, c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour continuer à vivre.
    Je ne sais si elle l'entend.

    Shevine craque complètement entre mes bras, baise mes joues en les mouillant de larmes.
    — J'en peux plus, j'y arrive plus, c'est trop dur, je veux pas mourir ici, tu sais... je veux pas mourir.
    — Tu ne mourras pas ici, je te le promets.
    Elle est calée contre moi, blottie, s'étiole, submergée par des émotions trop longtemps contenues.
    — Je vais tout te dire, je suis pas la femme forte que tu connais, j'ai le cœur en porcelaine, je suis fragile... cette guerre, t'avais raison, je suis venue la faire parce que ma vie n'avait aucun sens à Nantes, j'étais rien, rien qu'une fille d'immigrés, j'avais pas d'avenir, je voulais faire quelque chose d'important... je suis venue pour me donner de l'importance en fait...

    Shevine se livre, son âme est à nu, je ne l'ai jamais connue aussi vulnérable. Je ne sais quoi faire, ni quoi dire, cela me touche, et en même temps, j'ai tellement peur. Je me rebelle néanmoins contre l'image qu'elle a d'elle-même :
    — Tu oublies tout ce que tu as accomplis ici, tu es une meneuse d'hommes et de femmes, beaucoup sont prêts à mourir pour toi, et tu es venue pour défendre les femmes contre ces barbares, tu me l'as dit, et je te crois. Tu es en train de réaliser tes rêves, et ça c'est beau, t'es le reflet du soleil dans les ténèbres de la nuit, t'es pas une fille paumée ni une frimeuse, Shevine, ne pleure pas, tu es quelqu'un, crois-moi.

    Shevine essuie ses larmes du revers de sa manche, elle plonge ses yeux dans les miens, ils verdissent comme des émeraudes. Mais son visage demeure triste :
    — C'est pas ça mes rêves, tu vas me trouver stupide, je sais, surtout pour une féministe, mais moi, je voulais juste vivre avec un homme qui m'aime, avoir une maison et des enfants, rien de plus. Je sais, c'est ridicule...
    — Tu auras tout ça, Shevine, la guerre sera bientôt finie pour toi, juste après cette mission. Tu seras même une héroïne.
    — Ça m'est bien égal, Riwall, j'en ai par dessus la tête de cette guerre pourrie et d'être une héroïne, je veux pas mourir en martyr, je veux juste qu'on m'aime, tu comprends ?
    — Tout le monde t'aime ici...
    Elle se détache de moi, vexée.
    — Tu sais très bien de quoi je parle... me prends pas pour une idiote... d'ailleurs, je te déteste en fait, je maudis le jour où je t'ai rencontré, depuis que je te connais, ça va pas... t'as touché mon âme, je me demande comment d'ailleurs, et du matin au soir, je pense à toi, à chaque minute, je vis plus, tu saisis ? Je me donne à fond dans mon commandement, je me bats comme une lionne, mais c'est pour essayer de pas penser à toi, tu vois ?!! J'en ai marre de toi ! Je connais tout de toi, ton odeur, ton sourire, ta voix, ton esprit, et même ton joli ptit cul, j't'ai dans la peau, et toi t'es vide, tu me donnes rien, je sais bien que je devrais te virer de ma tête.

    Soudain, je découvre une Shevine que je ne connais pas, fragile, vulnérable, elle me livre tout ce qu'elle a sur le cœur, je me sens pas à la hauteur. S'ensuit un long silence. Elle n'ose plus me regarder, plonge sa tête entre ses genoux, que recouvrent ses longs cheveux noirs comme un rideau. J'ai envie de glisser mes doigts dedans, et je tends mes bras vers elle, mais j'y renonce, comme si un mur invisible brise mon élan :
    — Je suis tellement désolé, je suis pas l'homme qu'il te faut, pas celui que tu mérites... Je ne suis plus rien qu'une ombre, un mort-vivant, un oiseau sans ailes, je ne t'apporterai que le malheur.
    — Mais tu me prends pour qui ? Je suis pas une déesse, ni si exceptionnelle que tu le crois, je mérite pas mieux que toi. Je suis juste une fille amoureuse, je peux pas t'offrir grand chose, quelques rêves, de la tendresse, du sexe aussi, une main pour serrer la tienne, des lèvres pour t'embrasser, des bras pour te consoler, c'est tout ce que je possède. Tu dis que t'es rien, mais je suis pas d'accord, tu dis que tu m'apporteras que du malheur, je suis toujours pas d'accord. Quand je jouais au basket je lâchais jamais rien, je me battais jusqu'au bout, je finissais jamais le match, alors c'est pareil avec toi, même si je suis certaine de me planter, j'irai jusqu'à la faute. Je suis entière, je peux pas tricher, et si tu m'aimes pas, bah j'aurais essayé au moins.

    Là, je comprends ce qu'elle est en train de faire, je suis submergé par des émotions contraires, il y a quelque chose au fond de moi qui hurle, qui veut forcer la porte, mais je me suis tellement fermé que je n'en possède plus la clef. Shevine, bien que ravagée par la souffrance, est passionnée, elle porte sa croix et ça la rend plus belle qu'elle n'est réellement. Shevine a les yeux qu'on aimerait avoir posés sur soi, la bouche des baisers qui nous manquent, la voix d'un ange qu'on n'oubliera jamais, et un caractère qui nous marque au fer rouge ; à l'image de son peuple, elle est une rose pleine d'épines. Je pourrais craquer pour elle, prendre sa main dans la mienne, écraser mes lèvres contre les siennes, lui faire l'amour, mais mon élan, aussitôt se brise, je sais bien que cela finirait mal, je suis maudit par le destin, la passion c'est pas pour moi. Je finirai par tout gâcher, je suis comme un imposteur, fallait pas croiser mon chemin, j'ai rien demandé à personne, moi, aimer je peux pas.
    La voix nouée, je réponds :
    — J'y arriverai pas … je suis désolé, c'est une mauvaise idée, j'ai plus goût à la vie..., je fais face à la mort, et je préfère rester seul.

    Shevine baisse la tête, semble se résigner et se mure dans le silence, elle se lève, fait quelques pas pour sortir de la pièce, puis au moment de franchir le seuil, elle se retourne, et se lance à corps perdu dans sa dernière bataille :
    — Tu peux pas dire ça, t'as souffert, je sais, t'as perdu tes illusions, t'as peur d'aimer, je sais bien tout ça, mais regarde autour de toi : t'es en enfer ici, pour de vrai, c'est pas qu'un sentiment, c'est ce qu'on vit dans nos chairs. Les Yezidis ont tous été tués, les femmes sont violées, les enfants sont fanatisés ou enterrés vivants, et si demain on me capture, que crois-tu qu'il m'arrivera ? Quoi que cette femme t'a fait, c'est que dalle ! Si t'acceptes d'être rien, tu lui donnes raison à cette tarée, réagis, bats-toi, ou suicide-toi tout de suite, tiens je te donne mon flingue si tu veux !

    Shevine sort son pistolet et me le tend, déterminée, on y croirait. Voilà cette arme dans ma main, dois-je me shooter tout de suite ?
    Mais Shevine poursuit :
    — Tu sais quoi ? T'as cru aimer quelqu'un c'est ça ? Et t'as le cœur brisé parce qu'elle t'aimait pas ? Mais t'as rien compris... Aimer, c'est pas devenir une larve, aimer c'est pas le sacrifice, aimer c'est un don du ciel, rien d'autre. Dieu nous a donné ce pouvoir, il a pas dit de tout perdre pour le recevoir. Tu dois donner sans rien n'attendre des autres, comme un ange, sinon tu souffriras toujours dès que tu éprouveras quelque chose. Laisse-toi aller aux sentiments, brise cette carapace, je t'en prie, c'est tellement beau d'aimer, ça donne la joie, ça fait vibrer, ça nous fait jouer comme des enfants, c'est une parcelle d'éternité.

    Je demeure impassible, même si je comprends chaque mot, les murs sont trop épais pour être abattus en une nuit, mais ceux-ci sont tout de même ébranlés par ce tremblement de terre appelé Shevine. Mes yeux changent de couleur, passant du bleu au vert, et mon cœur s'emballe, et ses coups me frappent dans la poitrine.

    — Je voudrais bien Shevine... je voudrais bien...
    — Je t'ai tout dit de moi ce soir, tout ce que je ressens, j'ai posé mon âme devant toi, tu peux la déchirer, la laisser ou la prendre pour toi, je suis à toi. Tu dis espérer pour moi un homme meilleur ? Mais moi je veux que cet homme ce soit toi, Riwall,.... parce que moi je t'aime.

    Je ne sais pas comment réagir à cette déclaration d'amour, je me sens si vide, mon cœur est encore prisonnier d'un caveau de marbre, dur et froid comme la mort. Mais ses mots ont tout de même fissuré le bloc et je la tiens serrée contre moi pour la rassurer :
    — Je tiens beaucoup à toi, Shevine, mais pour tes rêves, je ne peux rien te promettre.

    Nous dormons ensemble pour la première fois, enlacés l'un contre l'autre. Je veille sur son sommeil, et une larme furtive coule le long de ma joue.

    mardi 6 août 2019

    Extrait de Pensez Positif ! Walking Naoned... Chapitre 13

    Chapitre 13
    La tour Bretagne infernale



    La nuit tombe, les lampadaires s'allument. Contrairement à l'ordinaire, rares sont les lumières aux fenêtres ; soit tout le monde est zombifié, soit les Nantais se terrent dans l'obscurité pour ne pas attirer les morts. Un silence inhabituel et angoissant domine les rues. Comme j'aimerais maintenant entendre le grincement strident d'un tramway, les éclats de voix des disputes, et les sirènes de police ! Pas de doute, c'est peur sur la ville version cannibales, cependant le député-maire n'a pas la classe de Bebel. Nous roulons à bord du van en direction du centre-ville, Galena et moi sommes revêtus d'un costume de gardes impériaux de Star Wars, munis d'une caméra sur le casque. Quand François m'a montré comment il comptait nous protéger des zombs, j'ai objecté que ces habits étaient des produits dérivés qui risquaient, de par leur nature, de nous attirer tous les décharnés de la ville. Il m'a finalement convaincu. D'une part ces costumes ont été fabriqués par lui-même, d'autre part ils sont solides et peuvent résister à des morsures. François a enduit nos brassières et nos jambières du saindoux qu'il utilise normalement pour préparer ses crêpes ; c'est dire que mon pote est prêt à tous les sacrifices !



    De sa tour de contrôle – at home – mon pote geek gère toute la ville et nos déplacements. Nous communiquons par casque et micro. Malgré son déguisement, je trouve Galena toujours aussi sexy, décidément tout lui va !




    J'entends la voix de François grésiller dans mes écouteurs :




            — Mickaël ? Galena ? Vous m'entendez ?




            — Cinq sur cinq ! je réponds.




            — Super, j'ai du nouveau : j'ai cherché où se trouvait exactement le bureau où travaille ton futur beauf, hé bien j'ai trouvé : c'est à l'avant-dernier étage de la tour !




            — Ah ! C'est une bonne ou une mauvaise nouvelle ça ? demandé-je.




            — La bonne, c'est que plus l'on se trouve dans un étage supérieur, plus on a des chances de s'être caché à temps des zombies, pas facile pour des décharnés complètement stupides de monter 37 étages d'une grande tour. Il faut espérer que ton gars n'ait pas eu l'idée saugrenue d'essayer de descendre, explique mon pote.




            — Il faut espérer, répond Galena.




            — Bon, la mauvaise nouvelle c'est qu'aller au sommet d'un si grand bâtiment, c'est prendre le risque d'y rester piégé, renchérit François.




    Je ne réponds rien, de toute façon entre prudence est mère de sûreté, et à cœur vaillant rien d'impossible, il faut bien faire un choix, et je ne peux faire preuve de lâcheté, étant donné que je suis le chevalier servant à la fois de ma sœur et de Galena, et le potentiel sauveur de Nantes, voire de l'humanité. Je me sens l'âme de « Barbetorte ».




    Nous empruntons l'itinéraire indiqué par mon pote, et cela fonctionne. Les rues sont praticables et peu fréquentées par les contaminés. J'en éclate bien deux ou trois, non sans ressentir un certain plaisir, car il n'y a aucune loi, ni aucune culpabilité à rouler sur des morts mangeurs de chair humaine, et puis de toute façon c'étaient des rappeurs et moi, j'aime pas le rap.




    Au bout de la rue Mercoeur, je tourne pour rouler sur la voie du tramway, lorsque le sifflement caractéristique d'une rame attire mon attention. Quelques tramways fonctionnent encore, il est vrai qu'ils sont automatisés maintenant. Je constate donc que celui-là s'arrête à la station Place du Cirque. Elle porte bien son nom  puisque à peine les portes ouvertes, les centaines de zombies s'extraient du wagon et courent en notre direction. Je passe la quatrième et traverse en trombe la zone piétonne qui nous mènera au pied de la tour.




    Le spectacle est terrible ! Des obus ont éclaté les dalles, un tramway rend son dernier soupir dans une fumée noirâtre, ci-gît un char d'assaut, des centaines de restes humains calcinés forment une marelle morbide. L'armée a testé tous ses joujoux sur les morts-vivants : roquettes, napalm, lances-flammes, agent orange, c'est Apocalypse Naoned ! Pourtant, des formes humaines errent en boitant, on se croirait dans Z-Nation. Les soldats ont dû regagner leur caserne puisque le seul rappel de leur présence est le désordre qui règne dans le centre-ville. Seuls quelques drones survolent encore l'endroit. Une bonne nouvelle : nous avons semé nos poursuivants.




    Dans le ciel nantais, les hélicoptères des chaînes de télévision du monde entier, retransmettent en direct le combat peuple vs zombies entre deux pages de pub. Certains commentateurs vont jusqu'à spéculer sur les gagnants et le nombre de morts, d'autres décrivent à loisir le look de certains zombs particulièrement bien sapés ou bien mordus.




    Je freine sévère devant l'entrée de la tour, déjà deux zombies tapent à nos fenêtres, ça commence bien ! Je fais marche arrière et accélère sur une dizaine de grogneurs ; en stoppant brusquement le van, je laisse une traînée de caoutchouc brûlé et de sang sur le dallage de la place. Nous prenons le risque de sortir du véhicule et piquons un cent mètres vers les portes automatiques. Hélas, celles-ci refusent de s'ouvrir ; voyant claudiquer vers nous quelques estropiés, Galena et moi se mettons à sauter, tels des lapins, devant les portes. Elles s'ouvrent enfin, et nous nous engouffrons dans la tour. Malheureusement, ces portes sont de qualité française : elles ne font que ce qu'elles veulent et après nous avoir snobés pour entrer, elles ne se referment plus. Deux trois zombies se regardent, regardent la porte, et soudain se précipitent dans notre direction. Le premier qui arrive est surpris par la porte qui se referme sur sa tronche et l'explose en mille miettes. Une aubaine pour les mouches vampires.




    Une autre explosion attire mon attention : un drone vient de tirer une roquette sur notre van !




    Le hall d'entrée n'est pas exempt de zombs, un homme d'affaire à qui il manque la mâchoire inférieure, nous offre un sourire peu réjouissant, une femme de ménage cherche frénétiquement son bras manquant dans le tas de chiffons qui gît dans sa corbeille, un agent de sécurité tangue dangereusement sur son unique jambe.




    Charitables, nous abrégeons leurs souffrances avec du pinard, y a pire comme mort. Les dents d'un dentiste contaminé se brisent en essayant de mordre dans mon armure, tandis que Galena expédie un soldat livide contre le bureau d'accueil, avant de le pulvériser dans les deux sens du terme. Une grosse secrétaire charge en poussant son cri de guerre :




            — Warrkkkkmamoeueugggfhhn !




    Elle me renverse, nous basculons tels un bulot, je crispe mes mains sur son cou pour l'éloigner du mien : c'est une furieuse celle-là, revêche et inconciliante à son poste administratif, soldat d'élite chez les zombs ! Heureusement, j'ai l'idée d'enclencher le petit mp3 que François nous a installé dans notre armure : aussitôt la musique entraînante d'une gavotte fait grimacer de douleur mon « agraisseuse » et je parviens à dégager ma main qui contient mon spray, une bonne giclée de Grosleau et c'en est fini de la grosse ! Je me relève plein de gras, de bave, et de sang, rejoins Galena tout en tentant de m'essuyer pour garder figure humaine. Elle a appuyé sur le bouton d'un ascenseur et nous attendons que ce dernier arrive du 14e étage.




    D'autres zombies surgissent d'un peu partout, nous sommes encerclés par une véritable horde d'une trentaine de macchabées. J'augmente le son de mon mp3, cette fois j'ai mis Tri Martelod. Cela provoque chez nos ennemis une certaine confusion. Côte à côte avec Galena, nous repoussons les plus téméraires jusqu'à ce que l'ascenseur sonne avant d'ouvrir ses portes. Alors que je recule, faisant face à mes adversaires, des dizaines de mains essayent de m'attraper par derrière, je suis comme happé dans la cabine.




            — Au secours, hurlé-je.




    Galena asperge de rakiya les assaillants comme le curé asperge d'eau bénite les infidèles. Je me débats contre les morts que je liquéfie à tour de bras. Jamais je n'ai autant apprécié le vin local. Quand nous parvenons à détruire les derniers zombies de l'ascenseur, les portes se referment sur nous, Galena appuie sur le 20, dernier étage pour cet ascenseur, car petite spécialité locale, il faut deux ascenseurs pour atteindre le sommet de la tour. J'entends les morts qui frappent encore les portes en grognant de dépit. Galena et moi sommes en piteux état, mais nous n'avons pas été mordus.




            — On se débrouille bien pour l'instant, dis-je à ma belle alliée.




            — On fait une bonne équipe ! répond-elle, le sourire aux lèvres, comme si nous n'avions fait que jouer.




    Elle sort d'une poche de son costume un petit tube de rouge à lèvres et profite du miroir de l'ascenseur pour se refaire une beauté. Sacrée Galena!




    François nous félicite :




            — Bravo, vous êtes les meilleurs ! J'ai déjà mis la scène de votre combat sur Youpub, on a déjà récolté 300,000 vues !




    Il ne perd pas de temps le geek !




    Soudain mon téléphone vibre, je réponds, il nous reste dix étages à monter. C'est Véronique, mon ex-femme, je l'avais oubliée celle-là.




            — Véro ? Ça va ?




            — Non ça va pas du tout Mickaël, nos enfants ont été enlevés par les forces armées, je ne sais pas où ils sont, et de plus je ne peux même pas sortir de cette ville, là c'est le ponpon ! On nous a mis en quarantaine, tu te rends compte ? Et tout ça en pleine pandémie.




    — T'es en sécurité j'espère ?




    — Bah c'est pour ça que je t'appelle en fait, j'ai voulu faire des courses au supermarché avant de rentrer, et puis je suis tombée sur tous ces trépassés mordeurs. J'ai été dans une laverie automatique dont j'ai réussi à bloquer la porte. Mais depuis, je suis coincée ici, et eux, ils sont scotchés à la vitre, à baver comme des « dogos ».




    — Bien, t'es encore entière, surtout n'essaye pas de sortir.




    — Ça c'est bien toi, typique, toujours à me donner des conseils d'une évidence crasse !




    L'ascenseur arrive au 20e étage. Les portes s'ouvrent.




    — Excuse-moi, je dois raccrocher, je suis occupé là.




    — Quoi ? Je suis assiégée par des tarés et… bip bip bip.




    Je range mon téléphone et suit Galena qui m'a devancé dans le couloir, son arme à la main. La voix de François grésille :




            — Il faut que vous preniez l'ascenseur pour les hauts étages, il doit être en face de vous normalement.




    Effectivement c'est le cas, Galena et moi inspectons les lieux, cet étage semble être désert. Ce sera peut-être plus facile que prévu de monter jusqu'en haut. Soudain une porte s'ouvre à deux pas de nous, aussitôt nous braquons la personne qui en sort avec nos vaporisateurs. L'individu est couvert de sang, ses vêtements sont déchirés. Je parie que c'est un zombie, à moins que… mais non, il a l'air paniqué, et de plus il a une petite caméra fixée à une casquette. On dirait un journaliste.




            — Z'êtes pas morts ? demande-t-il en tremblant.




            — Non, non, vous inquiétez pas.




    Il s'approche de nous, et semble étonné par notre présence :




            — Vous êtes des militaires, c'est ça, Unité spéciale ? 




    Galena répond :




            — Né, pas soldats, mais spéciaux oui !




    L'homme réalise qu'il y a encore des survivants et que nous pouvons lui être utiles :




            — Est-ce vous avez un téléphone portable, le mien a brûlé dans l'hélicoptère et les lignes de l'immeuble sont coupées.




    Je lui prête le mien, il me le prend comme un affamé se jetterait sur de la nourriture, et compose un numéro, ça décroche :




            — Allô, c'est Jean-Rémi, passe-moi la rédaction s'il te plaît… mais non je suis pas mort… non ce n'es pas une blague, je suis sorti de l'hélico et j'ai réussi à me réfugier dans la tour Bretagne, là j'ai trouvé deux agents de sécurité… bon, vous venez me chercher ?… Comment ça non ? Vous allez pas m'abandonner là !… Quoi ?… Filmer ce qu'il se passe en ville ?… J'en ai rien à foutre de l'audimat, là je risque de me faire bouffer !… Allô ? Allô ? Ah les salauds, ils ont raccroché !…




    Ça sonne de nouveau, le gars décroche :




            — J'ai cru que vous aviez raccroché les gars ! Allô ? Non je m'appelle pas Mickaël, vous êtes qui d'abord ?… Véronique ?… Connais pas, vous travaillez à la rédaction ou à la vidéo ?




    Je réalise que c'est ma Véro, la mère de mes enfants, je lui reprends le portable :




            — Allo Véro ? Véro ?… Bip bip bip…




    Le gars me dit avec un sourire Colgate :




            — Vous savez qui je suis ? Je fais de la télé !




    Galena hausse les épaules :




            — Né, jamais vu.




            — Bon, j'ai besoin de vous, il faut que je trouve des contaminés pour les filmer.




    Je réponds en revenant à mes moutons :




            — Pardon monsieur, nous avons une affaire urgente à régler, une autre fois ce sera avec plaisir…




    Jean-Rémi commence à paniquer :




            — Vous allez pas me laisser seul ! Je suis un reporter de la télé ! 




            — Si vous voulez nous accompagner, moi j'ai rien contre.




            — Ah ! Merci, je vais tout filmer, vous passerez au prochain JT, ce sera un scoop d'enfer… au fait, vous allez où ?




    Galena désigne l'ascenseur ascendant :




            — Na goré[1]… !




    Nous appuyons sur les boutons des ascenseurs pour les étages supérieurs, ceux-ci commencent à descendre depuis le 37e étage.




    La deuxième montée nous semble plus rapide que la première, effet d'habitude sans doute. Au petit cling d'arrivée, nous braquons nos sprays. Pour une fois, le corridor du 36ème étage est vide. Nous parcourons le long corridor dos à dos comme des commandos, lorsque soudain je l'aperçois : Stouyan est coincé sous un bureau entouré de trois zombies qui n'ont pas l'air commodes. Je pousse Galena du coude, elle se retourne et ouvre des yeux effarés, je lui fais signe en posant mon doigt sur mes lèvres, de faire silence. Nous avançons précautionneusement quand soudain, un des zombies attrape le cousin par le col, le plaque contre le mur et le mord méchamment à l'épaule. Galena hurle. Plus besoin de prendre des précautions, ruade sur les mordeurs. Galena est une furie, elle tabasse à coup de talons aiguilles, les têtes, les bras, les jambes agrandissant démesurément les trous déjà nombreux des décharnés. Quant à moi, je ne suis pas en reste, j'asperge à tour de bras, j'ouvre le vieux Boulogne et ses vapeurs anéantissent mon adversaire qui part en fumée. Les deux autres finissent en flaque sur la moquette. Stouyan a le teint blafard, je crains le pire. Mais je ne peux pas annoncer à ma sœur que son futur mari est un zomb, de plus, Galena ne le permettrait pas. Je repense au Suisse qui avait été mordu et sauvé par sa fondue, peut-être Stouyan, imbibé de rakiya depuis sa tendre enfance, malgré quelques années passées en France, il doit encore être immunisé. Après un bon régime kachkaval, rakiya, il devrait se remettre.




    Galena le réconforte tout en  lui nettoyant sa blessure ouverte avec ce qui lui reste de rakiya, elle s'assure qu'il va bien :




            — Stouyané ! Kak si ? Dobré li ? [2]




            — Da… répond-il, encore sous le choc.




            — Ça va Stouyan ? m’enquerrai-je ?




            — Vitchko dobro[3], me répond-il par automatisme, mais Galena est inquiète :




            — Il a beaucoup fièvre, tryabva da vreuchtamé cega[4].




    Seulement, depuis notre dernière bataille épique, nos réserves de produits traditionnels sont épuisées. Je fais part de ce problème à François qui trouve rapidement une solution :




            — Un café a ouvert au sommet de la tour, il vous suffit de monter d'un étage et vous devriez trouver quelques munitions.




            — Ok c'est parfait, on y va alors.




            — On va où ? demande Jean-Rémi qui a tout filmé de notre dernier combat.




    — Au café du sommet.




    Celui-ci s'affole :




             — Ah non ! Il faut repartir tout de suite… vous devez trouver un endroit pour ME mettre en sécurité !




            — Écoute gogo, habituellement t'es peut-être un homme important de la télé, mais là, maintenant t'es qu'un connard comme les autres, alors tu peux repartir tout seul si ça te chante, nous, on monte.




    Du coup, ça lui a fermé son clapet, il nous suit.


















    [1]     [1]Au dessus

    [2]     [2]Stouyan, comment vas-tu ? Es-tu bien ?

    [3]          [3]Tout va bien, ou plus proche de l'expression suisse romande : tout de bon !

    [4]          [4]Il faut repartir maintenant


    lundi 5 août 2019

    Extrait de En marche vers le progrès, chapitre : le blasphème



    Atée était une jeune femme qui s'appellait ainsi parce qu'elle grimpait souvent aux arbres et aimait se laisser tomber en arrière, mais atterrissait toujours sur ses pieds. Au départ, on l'appellait “Atterrie” et puis avec le temps “Atée”. Cette femme avait toujours les pieds sur terre.
    Quand Dormeur était revenu de sa grotte et prétendu être en communication avec les esprits, Atée s'était contentée de hausser les épaules et n'était jamais allée le consulter dans sa case.
    La table de la loi ne la choqua pas de prime abord, au vu que les règles premières lui paraissaient justes. C'est lorsqu'on déclara les femmes coupables
    qu'elle commença à râler. Elle avait un amant régulier qu'elle aimait beaucoup et s'était mariée avec lui, sans jamais toutefois se soumettre à son autorité. N'ayant pas honte de son corps, elle n'en faisait qu'à sa tête et savait très bien rembarrer les personnes qui lui faisaient des remarques. Un jour qu'elle se séchait sur un rocher au soleil après s'être baignée nue près d'une cascade, Lagifle l'aperçut et vint lui parler avec son ton moralisateur habituel :
    Atée, tu devrais couvrir ton corps, n'oublie pas que tu es une femme mariée.
    Cela ne te regarde pas, mon corps c'est le mien, il m'appartient et si j'ai envie d'être nue, c'est mon problème.
    Tu as tort, je vais t'expliquer, insista Lagifle en parlant comme si elle s'adressait à une enfant de son école, sache que ta conduite est comme la boue qui pollue cette eau, elle rend ton corps impur de la même façon que l'eau saumâtre te rendra malade si tu la bois. La pureté est quelque chose de naturel, tu te dois d'être pure.
    Garde tes explications fumeuses pour les crétins, avec moi ça ne prend pas. Et puis c'est quoi cette comparaison ? En quoi ma conduite serait comme la boue pour l'eau claire ? Ridicule. Et même la boue a des vertus curatives.
    Lagifle s'énerva :
    Parce que les esprits l'ont décidé ainsi !
    Atée partit d'un éclat de rire qui fit écho :
    Les esprits ? Et tu les as déjà entendus toi ? Moi, jamais.
    Si tu y crois, tu finiras par les entendre…
    C'est parce que tu es cinglée et que tu finis par t'en persuader. Il suffit qu'un animal fasse du bruit pour que tu croies que les esprits te parlent.
    Méchante femme, comment peux-tu manquer de respect aux esprits à ce point ?
    Comment pourrais-je manquer de respect à ce qui n'existe pas ?
    Prouve-moi que les esprits n'existent pas !
    C'est à toi de me prouver qu'ils existent, sinon je devrais admettre que tout ce qu'on peut imaginer existe : le dahu, l'Atlandide, la Démocratie, l'incroyable Hulk…
    Les esprits existent : notre saint Prophète est en permanence en contact spirituel avec eux.
    Mais je le connais bien moi ce filou, il a toujours raconté des bobards à tout le monde. Comment tu sais qu'il n'invente pas tout ce qu'il prétend entendre ?

    Lagifle, les larmes aux yeux :
    J'ai la foi en Dormeur, je sais qu'il dit la pure Vérité.
    Ah ah ah, balivernes ! Tu ne peux rien prouver du tout en fait. Allez, va plutôt te trouver un mâle pour te décoincer.

    Et Lagifle repartit en pleurant.
    Lagifle passa des heures terribles, destabilisée par les propos d'Atée. Le doute s'insinua dans son esprit : les esprits existent-ils ? Dormeur est-il un faux-prophète ? Mais non, elle chassa ces mauvaises pensées : il est impossible qu'elle se soit trompée, elle savait au fond de son coeur que les esprits existaient, et sans eux que deviendrait-elle ? Elle qui avait appris à leur parler jour et nuit, eux qui étaient ses seuls amis, eux qui lui donnaient la force de vivre chaque minute !
    Frappant un arbre rageusement de ses poings, elle poussa des cris de fureur. Comment pouvait-on ne pas croire aux esprits ? C'était intolérable. Cette méchante Atée avait une langue de vipère, elle insinuait le doute dans les esprits et semait la discorde dans la communauté. La peur lui glaça l'échine : Atée pourrait détruire toute sa vision du monde, et Lagifle serait complètement perdue, pire, Atée pourrait anéantir la foi elle-même. Elle était le mal incarné.

    Lagifle entra dans le Temple et y surprit Dormeur en train de faire tripoter son sexe par un petit garçon.
    Mais que fais-tu, ô Prophète ?
    Bafouillant, Dormeur trouva tout de même une excuse :
    Euh… les esprits me commandaient d'enseigner à cet innocent l'anatomie masculine…
    Prophète, je suis bouleversée, il y a dans notre tribu, une femme impure et méchante qui ne croit ni en toi, ni même aux esprits. Elle propage ses idées négationistes parmi les hommes et les femmes.
    Dormeur, fronça les sourcils :
    Effectivement, c'est fâcheux, dis-moi qui elle est, j'irai la trouver pour la ramener dans le droit chemin.
    Merci ô Prophète, fit Lagifle en lui baisant la main une bonne dizaine de fois.

    Dormeur alla trouver Atée qui était occupée à traire ses chèvres en compagnie de son mari. Celui-ci se leva, mais Dormeur lui demanda de s'éloigner, il souhaitait parler à sa femme.
    Atée, on m'a informé que tu ne respectais pas les croyances de notre tribu.
    Vous pouvez croire en ce que vous voulez, mais moi je crois ce que je veux. En quoi est-ce de l'irrespect ?
    Tu refuses de reconnaître la Vérité ?
    De quelle vérité parles-tu ? La tienne ? Et la mienne dans tout ça, tu en fais quoi ?
    Les esprits existent, c'est un fait.
    Prouve-le.
    Tu as un esprit dans ta tête, n'est-ce pas ?
    Mouais… si tu veux…
    Hé bien, lorsque le bébé sort du ventre de sa mère, un esprit entre dans son corps et l'anime, et lorsque une personne meurt, son esprit repart dans le monde des esprits.
    On ne les voit pas.
    Parce qu'ils sont invisibles, il y a le monde visible, matériel, et il y a le monde invisible, immatériel.
    Donc, tu es en train de me dire que tu sais qu'il existe un monde invisible et des esprits qu'on ne voit pas et n'entend pas.
    Oui.
    Elle partit d'un éclat de rire :
    Moi je te dis pour l'avoir observé maintes fois que lorsque le bébé est dans le ventre, il est déjà animé, il donne des coups de pieds et réagit quand on lui parle, toute mère sait cela. Pour moi, le bébé possède un esprit neuf comme son corps, puis il apprend en évoluant dans le monde extérieur, s'enrichit, se forge dans le monde réel, visible. Quand on vieillit, l'esprit vieillit aussi, il n'y a qu'à parler avec le vieux gâteux Tête-Ridée pour s'en apercevoir. Et quand on meurt, l'esprit meurt aussi.
    C'est horrible ! Imagine si tu propages tes mensonges, les gens auront peur de la mort et seront inconsolables quand les gens qu'ils aiment meurent.
    Atée réfléchit quelques secondes et dit :
    Et si en fait, nous appartenions à cette terre : les plantes naissent de la terre, elles sont mangées par les animaux que nous mangeons. Nos selles et urines retournent à la terre et nos corps aussi lorsque nous les enterrons. Tout part de là en fait, et vivre et mourir c'est le destin de chaque être en ce monde, nous sommes comme les fleurs, nous devons pousser, fâner, et puis retourner d'où nous venons. La Terre est notre mère à tous, voilà ce que je pense, et non ce que je crois, car contrairement à toi, je forge mes idées à partir de ce que je vois.
    Erreur ! Erreur !

    Comme Dormeur ne put convaincre Atée, il se dit que Brumeux y arriverait, vu que c'était le meilleur en l'art d'enbrouiller les esprits des idées les plus farfelues.
    Brumeux vint donc trouver Atée qui avait organisé une petite fête avec ses amis. Celle-ci, prit un air exaspéré en le voyant arriver :
    Quoi encore ?
    Atée, je suis mandaté par Dormeur pour parler avec toi.
    Parler de quoi ? Là je suis en bonne compagnie, je n'ai pas sollicité la tienne que je sache.
    Il s'agit de tes croyances. Elles ne sont pas justes.
    C'est toi qui le dit.
    Tu nies l'existence du monde invisible, m'a-t-on dit.
    Tout juste.
    Tu t'exposes à de graves ennuis parce que tu t'obstines dans l'erreur. Tu fais de l'erratisme, explique Brumeux avec son habituel ton docte ponctué de mots nouveaux destinés à impressionner son auditoire.
    Erratisme ? N'importe quoi, répondit Atée.
    Oui, erratisme, tu n'es qu'une erratique, mes frères et soeurs, vous avez devant vous l'errasie personnifiée.
    Atée s'esclaffait et tournait en ridicule chacune des inventions sémantiques de Brumeux.
    Ecoute Brumeux, ce n'est pas parce que tu donnes un mot à quelque chose que ça fait de toi une personne qui ne se trompe jamais. J'affirme que tu ne sais même pas de quoi tu parles. Ma croyance ne regarde que moi et s'il y a des idiots pour croire aux tiennes, ça les regarde aussi, mais je n'ai rien à voir avec ça.
    Tu te trompes, mécréante, car en propageant tes idées, tu pervertis les autres.
    Non, c'est toi et Dormeur qui pervertissez toute la tribu.
    Faute d'avoir d'argument, Brumeux passa aux insultes :
    Tu n'es qu'une petite salope qui fait boire aux innocents le mal comme une urine fétide.
    Soupe-au-lait, le mari d'Atée, se leva et expédia un poing magistral dans la figure de Brumeux, l'envoyant valser jusqu'au bas de la colline. S'il parlait peu, et ne contestait jamais Atée, personne n'insultait pas sa femme sans se faire casser la gueule.
    Le nez cassé, avec le sang plein la bouche, Brumeux se releva et retourna auprès de Dormeur. En le voyant ainsi, Dormeur s'écria :
    Cette fois, il faut faire quelque chose. Nous devons l'arrêter.
    Boiteux qui était là aussi, objecta :
    Mais Atée n'a pas transgressé les lois de la table.
    Brumeux, revanchard, dit alors :
    Nous devons donc ajouter un commandement.
    Mais lequel ? demanda Dormeur.
    Hé bien, Atée est dans l'erreur, c'est une “érétique”, précisa Brumeux qui se trompait même parfois dans la prononciation des mots qu'il avait inventé. Ce qui caractérise l'”érésie”, c'est de manquer de respect à la vraie croyance, c'est à dire aux esprits.
    Oui, fit Dormeur, comment allons-nous appeller ce fait ?
    Trouvons une image accrocheuse… on insulte les esprits lorsqu'on les ramène en bas, vers l'impureté, la femme quoi. Je propose donc d'appeller ce fait “basse-femme” à l'image d'Atée. Donc le commandement sera :
    Tu ne basse-femmeras pas les esprits.
    On grava donc cette nouvelle loi sur la table et l'on envoya des hommes armés pour arrêter Atée.
    Elle fut jugée au tribunal et condamnée pour basse-femme, négationisme des esprits, outrage aux bonnes moeurs, et tout ce que Brumeux put imaginer pour que le jury soit plus choqué encore. Elle incarnait le mal absolu, l'impureté totale. Il fallait frapper les esprits plus durement qu'avec une simple exécution. Alors Lagifle proposa qu'en vertu du principe de purification, quoi de mieux que le feu pour la punir. On plaça donc Atée sur des fagots de bois, attachée à un poteau et Dormeur la menaça de la brûler vive, une torche à la main. Celui-ci espérait qu'avec la peur de mourir ainsi, Atée finirait par renier son erreur. Mais celle-ci s'obstina jusqu'au bout, y compris lorsque les flammes commencèrent à la consumer, elle s'écria dans un dernier souffle :
    Soyez maudits ! Menteurs ! Salopards ! Idiots !
    Soupe-au-lait, qui avait assisté impuissant à la scène et qui n'avait jamais su convaincre un auditoire, pleura à chaudes larmes. Depuis ce jour, il s'éloigna du village et alla vivre dans la montagne.

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