mardi 6 août 2019

Extrait de Pensez Positif ! Walking Naoned... Chapitre 13

Chapitre 13
La tour Bretagne infernale



La nuit tombe, les lampadaires s'allument. Contrairement à l'ordinaire, rares sont les lumières aux fenêtres ; soit tout le monde est zombifié, soit les Nantais se terrent dans l'obscurité pour ne pas attirer les morts. Un silence inhabituel et angoissant domine les rues. Comme j'aimerais maintenant entendre le grincement strident d'un tramway, les éclats de voix des disputes, et les sirènes de police ! Pas de doute, c'est peur sur la ville version cannibales, cependant le député-maire n'a pas la classe de Bebel. Nous roulons à bord du van en direction du centre-ville, Galena et moi sommes revêtus d'un costume de gardes impériaux de Star Wars, munis d'une caméra sur le casque. Quand François m'a montré comment il comptait nous protéger des zombs, j'ai objecté que ces habits étaient des produits dérivés qui risquaient, de par leur nature, de nous attirer tous les décharnés de la ville. Il m'a finalement convaincu. D'une part ces costumes ont été fabriqués par lui-même, d'autre part ils sont solides et peuvent résister à des morsures. François a enduit nos brassières et nos jambières du saindoux qu'il utilise normalement pour préparer ses crêpes ; c'est dire que mon pote est prêt à tous les sacrifices !



De sa tour de contrôle – at home – mon pote geek gère toute la ville et nos déplacements. Nous communiquons par casque et micro. Malgré son déguisement, je trouve Galena toujours aussi sexy, décidément tout lui va !




J'entends la voix de François grésiller dans mes écouteurs :




        — Mickaël ? Galena ? Vous m'entendez ?




        — Cinq sur cinq ! je réponds.




        — Super, j'ai du nouveau : j'ai cherché où se trouvait exactement le bureau où travaille ton futur beauf, hé bien j'ai trouvé : c'est à l'avant-dernier étage de la tour !




        — Ah ! C'est une bonne ou une mauvaise nouvelle ça ? demandé-je.




        — La bonne, c'est que plus l'on se trouve dans un étage supérieur, plus on a des chances de s'être caché à temps des zombies, pas facile pour des décharnés complètement stupides de monter 37 étages d'une grande tour. Il faut espérer que ton gars n'ait pas eu l'idée saugrenue d'essayer de descendre, explique mon pote.




        — Il faut espérer, répond Galena.




        — Bon, la mauvaise nouvelle c'est qu'aller au sommet d'un si grand bâtiment, c'est prendre le risque d'y rester piégé, renchérit François.




Je ne réponds rien, de toute façon entre prudence est mère de sûreté, et à cœur vaillant rien d'impossible, il faut bien faire un choix, et je ne peux faire preuve de lâcheté, étant donné que je suis le chevalier servant à la fois de ma sœur et de Galena, et le potentiel sauveur de Nantes, voire de l'humanité. Je me sens l'âme de « Barbetorte ».




Nous empruntons l'itinéraire indiqué par mon pote, et cela fonctionne. Les rues sont praticables et peu fréquentées par les contaminés. J'en éclate bien deux ou trois, non sans ressentir un certain plaisir, car il n'y a aucune loi, ni aucune culpabilité à rouler sur des morts mangeurs de chair humaine, et puis de toute façon c'étaient des rappeurs et moi, j'aime pas le rap.




Au bout de la rue Mercoeur, je tourne pour rouler sur la voie du tramway, lorsque le sifflement caractéristique d'une rame attire mon attention. Quelques tramways fonctionnent encore, il est vrai qu'ils sont automatisés maintenant. Je constate donc que celui-là s'arrête à la station Place du Cirque. Elle porte bien son nom  puisque à peine les portes ouvertes, les centaines de zombies s'extraient du wagon et courent en notre direction. Je passe la quatrième et traverse en trombe la zone piétonne qui nous mènera au pied de la tour.




Le spectacle est terrible ! Des obus ont éclaté les dalles, un tramway rend son dernier soupir dans une fumée noirâtre, ci-gît un char d'assaut, des centaines de restes humains calcinés forment une marelle morbide. L'armée a testé tous ses joujoux sur les morts-vivants : roquettes, napalm, lances-flammes, agent orange, c'est Apocalypse Naoned ! Pourtant, des formes humaines errent en boitant, on se croirait dans Z-Nation. Les soldats ont dû regagner leur caserne puisque le seul rappel de leur présence est le désordre qui règne dans le centre-ville. Seuls quelques drones survolent encore l'endroit. Une bonne nouvelle : nous avons semé nos poursuivants.




Dans le ciel nantais, les hélicoptères des chaînes de télévision du monde entier, retransmettent en direct le combat peuple vs zombies entre deux pages de pub. Certains commentateurs vont jusqu'à spéculer sur les gagnants et le nombre de morts, d'autres décrivent à loisir le look de certains zombs particulièrement bien sapés ou bien mordus.




Je freine sévère devant l'entrée de la tour, déjà deux zombies tapent à nos fenêtres, ça commence bien ! Je fais marche arrière et accélère sur une dizaine de grogneurs ; en stoppant brusquement le van, je laisse une traînée de caoutchouc brûlé et de sang sur le dallage de la place. Nous prenons le risque de sortir du véhicule et piquons un cent mètres vers les portes automatiques. Hélas, celles-ci refusent de s'ouvrir ; voyant claudiquer vers nous quelques estropiés, Galena et moi se mettons à sauter, tels des lapins, devant les portes. Elles s'ouvrent enfin, et nous nous engouffrons dans la tour. Malheureusement, ces portes sont de qualité française : elles ne font que ce qu'elles veulent et après nous avoir snobés pour entrer, elles ne se referment plus. Deux trois zombies se regardent, regardent la porte, et soudain se précipitent dans notre direction. Le premier qui arrive est surpris par la porte qui se referme sur sa tronche et l'explose en mille miettes. Une aubaine pour les mouches vampires.




Une autre explosion attire mon attention : un drone vient de tirer une roquette sur notre van !




Le hall d'entrée n'est pas exempt de zombs, un homme d'affaire à qui il manque la mâchoire inférieure, nous offre un sourire peu réjouissant, une femme de ménage cherche frénétiquement son bras manquant dans le tas de chiffons qui gît dans sa corbeille, un agent de sécurité tangue dangereusement sur son unique jambe.




Charitables, nous abrégeons leurs souffrances avec du pinard, y a pire comme mort. Les dents d'un dentiste contaminé se brisent en essayant de mordre dans mon armure, tandis que Galena expédie un soldat livide contre le bureau d'accueil, avant de le pulvériser dans les deux sens du terme. Une grosse secrétaire charge en poussant son cri de guerre :




        — Warrkkkkmamoeueugggfhhn !




Elle me renverse, nous basculons tels un bulot, je crispe mes mains sur son cou pour l'éloigner du mien : c'est une furieuse celle-là, revêche et inconciliante à son poste administratif, soldat d'élite chez les zombs ! Heureusement, j'ai l'idée d'enclencher le petit mp3 que François nous a installé dans notre armure : aussitôt la musique entraînante d'une gavotte fait grimacer de douleur mon « agraisseuse » et je parviens à dégager ma main qui contient mon spray, une bonne giclée de Grosleau et c'en est fini de la grosse ! Je me relève plein de gras, de bave, et de sang, rejoins Galena tout en tentant de m'essuyer pour garder figure humaine. Elle a appuyé sur le bouton d'un ascenseur et nous attendons que ce dernier arrive du 14e étage.




D'autres zombies surgissent d'un peu partout, nous sommes encerclés par une véritable horde d'une trentaine de macchabées. J'augmente le son de mon mp3, cette fois j'ai mis Tri Martelod. Cela provoque chez nos ennemis une certaine confusion. Côte à côte avec Galena, nous repoussons les plus téméraires jusqu'à ce que l'ascenseur sonne avant d'ouvrir ses portes. Alors que je recule, faisant face à mes adversaires, des dizaines de mains essayent de m'attraper par derrière, je suis comme happé dans la cabine.




        — Au secours, hurlé-je.




Galena asperge de rakiya les assaillants comme le curé asperge d'eau bénite les infidèles. Je me débats contre les morts que je liquéfie à tour de bras. Jamais je n'ai autant apprécié le vin local. Quand nous parvenons à détruire les derniers zombies de l'ascenseur, les portes se referment sur nous, Galena appuie sur le 20, dernier étage pour cet ascenseur, car petite spécialité locale, il faut deux ascenseurs pour atteindre le sommet de la tour. J'entends les morts qui frappent encore les portes en grognant de dépit. Galena et moi sommes en piteux état, mais nous n'avons pas été mordus.




        — On se débrouille bien pour l'instant, dis-je à ma belle alliée.




        — On fait une bonne équipe ! répond-elle, le sourire aux lèvres, comme si nous n'avions fait que jouer.




Elle sort d'une poche de son costume un petit tube de rouge à lèvres et profite du miroir de l'ascenseur pour se refaire une beauté. Sacrée Galena!




François nous félicite :




        — Bravo, vous êtes les meilleurs ! J'ai déjà mis la scène de votre combat sur Youpub, on a déjà récolté 300,000 vues !




Il ne perd pas de temps le geek !




Soudain mon téléphone vibre, je réponds, il nous reste dix étages à monter. C'est Véronique, mon ex-femme, je l'avais oubliée celle-là.




        — Véro ? Ça va ?




        — Non ça va pas du tout Mickaël, nos enfants ont été enlevés par les forces armées, je ne sais pas où ils sont, et de plus je ne peux même pas sortir de cette ville, là c'est le ponpon ! On nous a mis en quarantaine, tu te rends compte ? Et tout ça en pleine pandémie.




— T'es en sécurité j'espère ?




— Bah c'est pour ça que je t'appelle en fait, j'ai voulu faire des courses au supermarché avant de rentrer, et puis je suis tombée sur tous ces trépassés mordeurs. J'ai été dans une laverie automatique dont j'ai réussi à bloquer la porte. Mais depuis, je suis coincée ici, et eux, ils sont scotchés à la vitre, à baver comme des « dogos ».




— Bien, t'es encore entière, surtout n'essaye pas de sortir.




— Ça c'est bien toi, typique, toujours à me donner des conseils d'une évidence crasse !




L'ascenseur arrive au 20e étage. Les portes s'ouvrent.




— Excuse-moi, je dois raccrocher, je suis occupé là.




— Quoi ? Je suis assiégée par des tarés et… bip bip bip.




Je range mon téléphone et suit Galena qui m'a devancé dans le couloir, son arme à la main. La voix de François grésille :




        — Il faut que vous preniez l'ascenseur pour les hauts étages, il doit être en face de vous normalement.




Effectivement c'est le cas, Galena et moi inspectons les lieux, cet étage semble être désert. Ce sera peut-être plus facile que prévu de monter jusqu'en haut. Soudain une porte s'ouvre à deux pas de nous, aussitôt nous braquons la personne qui en sort avec nos vaporisateurs. L'individu est couvert de sang, ses vêtements sont déchirés. Je parie que c'est un zombie, à moins que… mais non, il a l'air paniqué, et de plus il a une petite caméra fixée à une casquette. On dirait un journaliste.




        — Z'êtes pas morts ? demande-t-il en tremblant.




        — Non, non, vous inquiétez pas.




Il s'approche de nous, et semble étonné par notre présence :




        — Vous êtes des militaires, c'est ça, Unité spéciale ? 




Galena répond :




        — Né, pas soldats, mais spéciaux oui !




L'homme réalise qu'il y a encore des survivants et que nous pouvons lui être utiles :




        — Est-ce vous avez un téléphone portable, le mien a brûlé dans l'hélicoptère et les lignes de l'immeuble sont coupées.




Je lui prête le mien, il me le prend comme un affamé se jetterait sur de la nourriture, et compose un numéro, ça décroche :




        — Allô, c'est Jean-Rémi, passe-moi la rédaction s'il te plaît… mais non je suis pas mort… non ce n'es pas une blague, je suis sorti de l'hélico et j'ai réussi à me réfugier dans la tour Bretagne, là j'ai trouvé deux agents de sécurité… bon, vous venez me chercher ?… Comment ça non ? Vous allez pas m'abandonner là !… Quoi ?… Filmer ce qu'il se passe en ville ?… J'en ai rien à foutre de l'audimat, là je risque de me faire bouffer !… Allô ? Allô ? Ah les salauds, ils ont raccroché !…




Ça sonne de nouveau, le gars décroche :




        — J'ai cru que vous aviez raccroché les gars ! Allô ? Non je m'appelle pas Mickaël, vous êtes qui d'abord ?… Véronique ?… Connais pas, vous travaillez à la rédaction ou à la vidéo ?




Je réalise que c'est ma Véro, la mère de mes enfants, je lui reprends le portable :




        — Allo Véro ? Véro ?… Bip bip bip…




Le gars me dit avec un sourire Colgate :




        — Vous savez qui je suis ? Je fais de la télé !




Galena hausse les épaules :




        — Né, jamais vu.




        — Bon, j'ai besoin de vous, il faut que je trouve des contaminés pour les filmer.




Je réponds en revenant à mes moutons :




        — Pardon monsieur, nous avons une affaire urgente à régler, une autre fois ce sera avec plaisir…




Jean-Rémi commence à paniquer :




        — Vous allez pas me laisser seul ! Je suis un reporter de la télé ! 




        — Si vous voulez nous accompagner, moi j'ai rien contre.




        — Ah ! Merci, je vais tout filmer, vous passerez au prochain JT, ce sera un scoop d'enfer… au fait, vous allez où ?




Galena désigne l'ascenseur ascendant :




        — Na goré[1]… !




Nous appuyons sur les boutons des ascenseurs pour les étages supérieurs, ceux-ci commencent à descendre depuis le 37e étage.




La deuxième montée nous semble plus rapide que la première, effet d'habitude sans doute. Au petit cling d'arrivée, nous braquons nos sprays. Pour une fois, le corridor du 36ème étage est vide. Nous parcourons le long corridor dos à dos comme des commandos, lorsque soudain je l'aperçois : Stouyan est coincé sous un bureau entouré de trois zombies qui n'ont pas l'air commodes. Je pousse Galena du coude, elle se retourne et ouvre des yeux effarés, je lui fais signe en posant mon doigt sur mes lèvres, de faire silence. Nous avançons précautionneusement quand soudain, un des zombies attrape le cousin par le col, le plaque contre le mur et le mord méchamment à l'épaule. Galena hurle. Plus besoin de prendre des précautions, ruade sur les mordeurs. Galena est une furie, elle tabasse à coup de talons aiguilles, les têtes, les bras, les jambes agrandissant démesurément les trous déjà nombreux des décharnés. Quant à moi, je ne suis pas en reste, j'asperge à tour de bras, j'ouvre le vieux Boulogne et ses vapeurs anéantissent mon adversaire qui part en fumée. Les deux autres finissent en flaque sur la moquette. Stouyan a le teint blafard, je crains le pire. Mais je ne peux pas annoncer à ma sœur que son futur mari est un zomb, de plus, Galena ne le permettrait pas. Je repense au Suisse qui avait été mordu et sauvé par sa fondue, peut-être Stouyan, imbibé de rakiya depuis sa tendre enfance, malgré quelques années passées en France, il doit encore être immunisé. Après un bon régime kachkaval, rakiya, il devrait se remettre.




Galena le réconforte tout en  lui nettoyant sa blessure ouverte avec ce qui lui reste de rakiya, elle s'assure qu'il va bien :




        — Stouyané ! Kak si ? Dobré li ? [2]




        — Da… répond-il, encore sous le choc.




        — Ça va Stouyan ? m’enquerrai-je ?




        — Vitchko dobro[3], me répond-il par automatisme, mais Galena est inquiète :




        — Il a beaucoup fièvre, tryabva da vreuchtamé cega[4].




Seulement, depuis notre dernière bataille épique, nos réserves de produits traditionnels sont épuisées. Je fais part de ce problème à François qui trouve rapidement une solution :




        — Un café a ouvert au sommet de la tour, il vous suffit de monter d'un étage et vous devriez trouver quelques munitions.




        — Ok c'est parfait, on y va alors.




        — On va où ? demande Jean-Rémi qui a tout filmé de notre dernier combat.




— Au café du sommet.




Celui-ci s'affole :




         — Ah non ! Il faut repartir tout de suite… vous devez trouver un endroit pour ME mettre en sécurité !




        — Écoute gogo, habituellement t'es peut-être un homme important de la télé, mais là, maintenant t'es qu'un connard comme les autres, alors tu peux repartir tout seul si ça te chante, nous, on monte.




Du coup, ça lui a fermé son clapet, il nous suit.


















[1]     [1]Au dessus

[2]     [2]Stouyan, comment vas-tu ? Es-tu bien ?

[3]          [3]Tout va bien, ou plus proche de l'expression suisse romande : tout de bon !

[4]          [4]Il faut repartir maintenant


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