lundi 27 août 2018

Personnages féminins dans le roman historique : faire du féminisme quand même.




En écrivant Britannia et Oriens, deux romans qui se déroulent au 4e siècle de notre ère, je me suis heurté à un épineux problème : comment rendre intéressants des personnages féminins dans une époque sexiste où la religion reléguait les femmes à un rôle passif en société et dans un univers fondamentalement patriarcal. Alors que nous Occidentaux, nous sortons à peine de ce modèle, nous savons que les personnages féminins dans les romans et les films ont longtemps été cantonnés au rôle de faire-valoir du héros masculin. J'ai pourtant trouvé des solutions viables et j'ai envie de les partager avec vous.
La première solution consiste à combattre les préjugés que nous avons d'une époque. Pour cela, quoi de mieux que de s'intéresser aux sources historiques de façon approfondie.


















Les préjugés sont tenaces sur une époque ou sur une société étrangère. Par exemple, on imagine les femmes faibles dans une société patriarcale, j'ai envie de dire pas forcément. Regardez les vieux films français, ceux d'avant la révolution féministe des années 70, et vous verrez de nombreux personnages féminins forts, notamment incarnés au cinéma par des femmes comme Jeanne Moreau, Simone Signoret ou Annie Girardot.




Pour le moyen-âge et l'antiquité, c'est la même chose, il faut faire très attention à nos idées reçues, lesquelles sont souvent amplifiées par une lecture superficielle des sources. Attention aux discours qui donnent une image déformée de la société dans laquelle ils ont été produits. Par exemple, vous imaginez bien qu'il existe un grand décalage entre les discours féministes d'un côté, moralistes des religieux de l'autre, les lois et le traitement médiatique, et la réalité de la vie des femmes que nous vivons aujourd'hui.




Pour ce problème, j'ai une solution : mettez les discours de côté et trouvez des exemples historiques de personnages féminins pour voir un peu plus la réalité. Les discours veulent façonner une société, ils ne reflètent pas forcément la vérité. Ainsi, au 4e siècle de notre ère, si l'on lit les sermons d'Augustin d'Hippone, de Jean Chrysostome, ou d'Ambroise de Milan, tous trois évêques célèbres et pères de l'Eglise, nous avons une image déformée de la réalité. Ainsi prêchent-ils évidemment la virginité jusqu'au mariage, la fidélité des épouses. De même chez Synésios de Cyrène, j'ai trouvé une critique très féroce à l'encontre d'une femme “ entreprenante, audacieuse, remuante, avide de nouveautés” . C'est cela le problème : les moralistes critiqueront toujours celles et ceux qui dévient de leur idéal, ce n'est pas pour autant qu'il n'y a pas de “déviants”.




Reste le problème des lois : au 4e siècle, les lois sont très claires et définissent pour les femmes des rôles bien précis. En fait, l'empire romain divisait juridiquement la société en deux castes d'hommes libres : les honestories (les “honnêtes gens”) et les humiliores (les “humiliés”, les “humbles”). Les honestories étaient les élites sociales, à savoir tous les propriétaires de terres, les commerçants, etc., tandis que les humiliores étaient la masse des travailleurs, paysans, ouvriers, manoeuvres, et tous les métiers des pauvres gens. Leur statut juridique était inférieur à celui des honestories, ils étaient considérés comme des témoins moins fiables, le juge pouvait les torturer pour les faire avouer un crime ou une complicité, etc. Et pour les femmes, il faut remarquer que les moralistes qui faisaient les lois, avaient visiblement renoncé à contrôler la moralité des humbles, puisque seules les femmes honestories, c'est à dire de l'élite sociale, étaient tenues légalement à une conduite morale irréprochable. Par exemple, l'adultère était puni de mort pour les femmes honestories, mais toléré pour les femmes du peuple. Les chrétiens de cette époque regardaient la société depuis le haut, et faisaient semblant d'ignorer cette masse grouillante de gens qui leur paraissaient vulgaires. Les paysans, d'ailleurs, qui constituaient 80-90% de la société, avaient pour nom “paganos”, ce qui a donné “païens”, puisque pendant longtemps, la foi et la moralité chrétienne n'ont pénétré les campagnes qu'en surface. Il faut attendre le 16e siècle pour que les élites chrétiennes se préoccupent des paysans et décident de les christianiser de façon plus stricte (Réforme protestante et Contre Réforme Catholique). C'est d'ailleurs pendant cette période que se déroula la grande chasse aux sorcières dont beaucoup de femmes paysannes furent victimes en Europe. C'est à cette époque que les puritains anglais de Cromwell faisaient des descentes dans les fêtes de villages afin de les terroriser la Bible à la main en menaçant les pauvres paysans du châtiment éternel s'ils continuaient à boire, danser, chanter et batifoler dans les prés comme ils le faisaient depuis des millénaires. Ainsi donc, attention aux préjugés car ce n'est pas parce qu'une époque ou une société est officiellement religieuse que cela concerne tout le peuple. En Europe, tant qu'il n'y avait pas de bandes de fanatiques arpentant les villages, les campagnes sont restées globalement à l'abri d'un fondamentalisme chrétien.








Revenons au 4e siècle, j'ai dit que seules les élites étaient surveillées au niveau de la moralité, notamment sexuelle, mais là encore, les histoires des femmes de l'époque contredisent parfois ces faits. Oui il y a des saintes, c'est à dire des femmes mises en avant par la propagande chrétienne (les vies de saints) et érigées en modèles de sainteté (Sainte Mélanie par exemple), oui les évêques cités plus haut vantaient les mérites de telle ou telle femme qui avait décidé de vivre une vie austère à l'abri des tentations du monde. Mais je trouve de nombreuses femmes tout à fait différentes, y compris dans la haute-société.




Par exemple, la femme de Cesarios est décrite ainsi par Synésios de Cyrène dans un texte qui raconte quelques années après, les événements de la crise barbare de 399-400 :




Sa femme partageait ses regrets: elle était méchante comme lui; songeant surtout à se parer, n’aimant que le théâtre et la place publique, elle voulait et elle croyait attirer sur elle tous les regards.
Typhon (Cesarios) l’aimait éperdument; quoiqu’avançant déjà en âge, on eût dit que, semblable à un jeune homme, il en était à sa première passion. A sa douleur s’ajoutait la honte d’avoir promis à sa femme qu’il serait roi et qu’il partagerait avec elle son autorité. Même dans la condition privée, elle se faisait déjà remarquer par les contrastes qu’elle réunissait en elle : plus que toutes les femmes, on la voyait rechercher le luxe, prendre soin de sa beauté, donner un libre cours à toutes ses fantaisies; et plus que tous les hommes, elle était entreprenante, audacieuse, remuante, avide de nouveautés. Elle s’était entourée, pour l’exécution de ses desseins, de courtisanes et de mercenaires qui lui étaient tout dévoués, et obéissaient à ses volontés au dedans comme au dehors de son palais. Une bande nombreuse de jeunes débauchés envahit son palais. Ce n’étaient que festins et orgies pour passer le temps et pour adoucir l’amertume des regrets. On s’ingéniait surtout à oublier, par toute sorte d’excès, le bonheur d’Osiris (Aurélien) : on faisait creuser de vastes bassins; dans ces bassins on élevait des îles, et dans ces îles on construisait des thermes, où les hommes pouvaient se montrer nus au milieu des femmes, et satisfaire librement tous leurs désirs.” (Synésios, De Providentia)




Evidemment, Synésios ne portait pas cette femme dans son coeur et comme presque tous les chrétiens de son temps, il désapprouvait sa conduite, notamment son libertinage. Mais si on relit cette description en éliminant le jugement moral dû à l'époque et aux convictions religieuses de l'auteur, alors on se rend compte que justement, ce qui déplaisait à l'époque, c'étaient justement les femmes qui se conduisaient comme les femmes d'aujourd'hui : entreprenantes, audacieuses, sexy, sexuellement libérées… et il y en avait, la femme de Cesarios n'est pas la seule à avoir été critiquée à cette époque.







Eudoxie, fille du général Bauto, un Franc apparenté aux Mérovingiens, devient l'épouse de l'empereur Arcadius. Cette jeune impératrice a vite pris le dessus sur son mari, et elle a joué un rôle politique important, noué des alliances, fomenté des complots, organisé un coup d'état contre les Goths, etc. Elle fut d'ailleurs à un moment l'ennemi personnelle de la femme de Cesarios, à tel point que Synésios de Cyrène, quand il raconte des faits survenus à Constantinople pendant son séjour dans la capitale orientale, place deux femmes au centre des luttes politiques : la femme de Cesarios, et la femme du général goth Gaïnas, tandis que Jean Chrysostome et tous les auteurs du 5e siècle donnent à Eudoxie une place prépondérante. Jean Chrysostome dit d'Eudoxie que c'est une nouvelle Jézabel. Qu'a-t-on reproché à Eudoxie ? D'abord de détenir l'autorité politique réelle, ensuite de vouloir officialiser sa fonction d'impératrice, elle est la première Augusta, elle fit dresser des statues à son image, et cela provoqua un scandale dans tout l'empire, l'Occident refusant de la reconnaître. Mais quoi qu'il en soit, une femme pouvait à la fin du 4e siècle et au début du 5e siècle, prendre le pouvoir et s'affirmer comme la plus haute autorité.










D'autres femmes ont laissé leur marque : Séréna, femme du général Stilicon et fille adoptive de l'empereur Théodose, est une jolie espagnole qui laissa le souvenir, certes d'une épouse qui soutient fidèlement son mari, mais aussi d'une femme de caractère, ambitieuse et qui savait intervenir politiquement lorsqu'il le fallait (intervention en faveur de Sainte Mélanie). Elle fut victime de l'épuration qui suivit la chute de son mari et d'un procès inique qui l'accusait d'avoir fait venir les Goths devant Rome pour venger son mari et son fils. Et là encore, une autre femme faisait partie des témoins de l'accusation : la célèbre Galla Placidia, alors âgée de seulement 16 ans !





Donc, Galla Placidia, fille de Théodose, est là encore une femme d'exception : prise en otage par les Goths d'Alaric, son successeur Athaulf se marie avec elle et ensemble ils rêvent de redresser l'empire romain. Mais leur fils meurt quelques jours après la naissance et Athaulf est assassiné. Galla Placidia est finalement rendue aux Romains et remariée au général Constance, qui devient brièvement empereur. Veuve d'un roi goth et d'un empereur, Galla Placidia devient une sorte d'impératrice-mère pour son fils Valentinien III, elle est la figure emblématique de la fin de l'empire romain d'Occident. Elle avait une garde personnelle de guerriers goths dont elle fit usage parfois pour régler ses comptes. On ne plaisantait pas avec cette femme là.











Parmi les “saintes” de cette époque, on trouve des femmes d'exception, et pas uniquement sur le plan de la foi : Sainte Geneviève de Paris, dans la deuxième moitié du Ve siècle avait des fonctions municipales normalement réservées aux hommes si on s'en tient aux lois de l'époque. Or c'était bien une femme qui s'occupait du ravitaillement de la cité et de questions d'urbanisme, voire même de diplomatie, puisqu'on la dit avoir joué un rôle pour éviter à la cité d'être attaquée par Attila.





A l'opposé, la philosophe païenne Hypatie d'Alexandrie a été une figure importante de cette époque. Elle fut d'ailleurs la professeur de Synésios de Cyrène cité plus haut, qui lui vouait le plus grand respect. Hypatie a été lapidée par des fanatiques chrétiens en 411, elle a récemment fait l'objet d'un film hollywoodien dans l'ensemble assez fidèle aux sources.













Au Ve siècle encore, un texte grec raconte que lors d'une bataille entre Romains et Huns, des officiers romains voulurent compter le nombre de morts chez les guerriers huns, et s'aperçurent avec surprise qu'il y avait des femmes parmi les cavalières armées. En effet, les Huns, comme d'ailleurs bien d'autres peuples considérés comme barbares par les Romains et les Grecs, donnaient la possibilité aux femmes qui le souhaitaient de devenir guerrières. Et il est prouvé de surcroît, que les femmes sont meilleures que les hommes au tir à l'arc, et comme c'était l'arme favorite des Huns, on devine que des femmes huns devaient être redoutables.





Au 6e siècle, une femme a eu un destin encore plus extraordinaire : Théodora, une danseuse et prostituée séduisit Justinien qui se maria avec elle et lorsqu'il devint empereur, Théodora devint logiquement impératrice. Ce fut elle aussi une femme à poigne, qui prit l'ascendant sur son mari. Selon l'historien Procope, Théodora était une femme experte en sexualité. Elle plaça ses anciennes amies danseuses en les mariant à des hommes importants, et couvrit même les frasques de certaines en faisant tabasser les hommes qui voulaient divorcer !









L'évêque Félix (527-582) était le véritable dirigeant de la cité de Nantes, cumulant alors les fonctions de comte et d'évêque. Mais derrière cette figure emblématique des débuts de l'Histoire de Nantes, il y avait des femmes. Marié avant d'être évêque, il garda son épouse, ce qui était la norme à l'époque, mais il fut tout de même réprimandé par un concile d'évêques armoricains parce que sa femme refusait de quitter le lit de son époux ! On apprend également que sa nièce voulait se marier avec un homme qui ne revenait pas à Félix. Celui-ci la fit enfermer pour l'en empêcher, mais grâce à des complicités, elle fit parvenir des lettres à son amoureux, et put organiser son évasion. Comme quoi au VIe siècle, la passion pouvait aller contre la famille.





Deux reines mérovingiennes célèbres se sont affrontées pendant des décennies, plongeant la Gaule franque dans de sanglantes guerres civiles : Frédégonde, femme du roi Chilpéric et Brunehaut, femme du roi Sigebert. La première était une danseuse qui sut charmer le jeune roi et devenir reine. Mais elle fit assassiner sa rivale qui était la soeur de Brunehaut. Cette dernière lui voua une haine farouche. Leur guerre provoqua la mort violente de leurs maris respectifs et continua même après. Un épisode marquant eut lieu lorsque Brunehaut prisonnière de Frédégonde parvint à séduire le fils du roi Chilpéric et de s'enfuir avec lui. Un autre épisode est le procès de l'évêque de Tours Grégoire : accusé d'avoir répandu le bruit de la liaison entre la reine Frédégonde et l'évêque de Bordeaux, il risquait la mort, mais put s'en tirer en passant ses accusateurs à la torture. Les hommes torturés "avouèrent" avoir proféré des mensonges pour le compte de Félix de Nantes, et du comte de Tours Leudaste, ennemis jurés de Grégoire et de la reine. Évidemment, l'honneur de la reine était sauf. Si Frédégonde est morte de maladie, son fils Clotaire poursuivit la lutte contre Brunehaut et cette dernière, battue en 614, finit écartelée par quatre chevaux.










Vers 520, un ouvrage érotique écrit par Aristénète à Constantinople, raconte des tranches de vie assez coquasses qui en disent long sur la vie sexuelle des femmes de cette époque. Une jeune femme craint que son futur mari s'aperçoive qu'elle n'est plus vierge et demande conseil à une femme expérimentée qui lui révèle ses secrets pour simuler la virginité lors de la nuit de noce ; la femme d'un avocat se plaint que son mari passe ses soirées à préparer ses plaidoiries au lieu de lui faire l'amour ; un homme cache les vêtements d'une femme qui se baigne nue dans une scène digne d'une chanson de Brassens. En lisant cet ouvrage, on se rend compte que les femmes de ce temps n'avaient rien à envier avec celles d'aujourd'hui.





Il y a des femmes intéressantes avec Mahomet, personnage de la fin du VIe siècle. On nous dit dans les légendes musulmanes écrites deux siècles plus tard, que Mahomet, alors jeune et beau chamelier séduisit sa patronne Khadidja, une riche veuve âgée de vingt ans de plus que lui, ce que les médias appellent vulgairement aujourd'hui une “cougar”, serait à l'origine d'une des religions les plus importantes de notre temps ! Cette femme était intelligente et autoritaire, puisque son jeune époux Mahomet, bien que prophète et chef de guerre de plus en plus célèbre en Arabie, ne put pas prendre d'autre femme avant sa mort. Car si Khadidja mit sa fortune au service des ambitions religieuses et militaires de Mahomet, elle refusa toute rivale, et comme c'était elle qui avait l'argent, le jeune prophète ne prit aucune autre épouse. Par contre, dès sa mort, Mahomet, alors maître de sa fortune, multiplia les épouses, comme s'il avait du retard à rattraper. Bien entendu ces textes tardifs sur la vie du prophète de l'Islam ne sont peut-être que des inventions ultérieures, mais ils renseignent tout de même sur l'état d'esprit d'une époque, en montrant avec la figure de Khadidja, une femme qui était tout sauf soumise aux hommes, bien au contraire.









Enfin, je vais terminer avec la fameuse Kahina, la reine berbère qui combattit les envahisseurs arabes au Maghreb dans les années 690. Cette femme exceptionnelle a mené des combats épiques contre les armées arabo-musulmanes, gagnant la bataille des chameaux. Elle avait le don de prophétesse, car ses ennemis disaient qu'elle prédisait l'avenir. Cette figure féminine incroyable lui a valu le surnom de “Jeanne d'Arc berbère” et en Algérie on lui voue un véritable culte national.














Après tous ces exemples, pris dans une époque où les religions chrétiennes et musulmanes étaient en plein essor et voulaient imposer leur morale et leur vision réductrice de la féminité au seul mariage, on s'aperçoit que la réalité était plus complexe, que des femmes pouvaient être influentes politiquement, guerrières, entrepreneuriales, ou libertines. Et si les élites nous ont laissé bien des histoires, on se doute bien que celles-ci n'étaient que le reflet de leur époque et que des femmes du peuple participaient aussi. On trouve dans l'antiquité et au moyen-âge des femmes architectes, poétesses, actrices, guerrières, philosophes, alors les exemples ne manquent pas pour les écrivains pour dépeindre des personnages féminins autres que des matrones, des vierges ou des prostituées.

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