Pendant
ce temps, à Castelork, la forteresse construite entre deux gros
rochers, Megalork, seigneur de guerre du clan des Orques Adipeux,
tenait conseil auprès de ses lieutenants. Un feu crêpitait dans la
cheminée et l'odeur de entrecôtes de tyramouth grillé ravissait
les papilles des Orques dans la grande salle du donjon. Mega ne
ressemblait à aucun autre : il compensait une petite taille par une
grande énergie, des muscles saillants et un regard martial teinté
de mégalomanie. Il rêvait de soumettre tous les Orques à son
autorité et d'être couronné roi du Mordork, puis il envahirait les
sept royaumes et demi en commençant par ces tafioles d'Elfes et ces
idiots d'Humains. Mais voilà, si les clans orques étaient divisés,
ils s'accordaient toujours pour aller piller les pays voisins et
l'autorité de Mega ne dépassait pas son canton, quant à son aura,
elle demeurait proportionnelle à sa taille. Il essayait bien de
montrer aux guerriers orques qu'il avait l'étoffe d'un grand
conquérant, hélas après chaque raid, son rival de toujours lui
ravissait la première place parmi les pillards : Machmalork. À
l'école enfantine où ils apprenaient l'A.B.C., à savoir les Arts
de Bataille et de Carnage, Machma et Mega se chamaillaient déjà,
c'était à qui serait le premier à décapiter un paladin, à
fouetter un Elfe, ou à perforer des Hobbits pendant les ball-trap1.
Quand
Mega avait appris le retour de son rival, il s'était dit que ce
vieux filou de Machma ne pouvait pas interrompre son raid au beau
milieu de la saison militaire sans raison. Du coup, il avait fait de
même avec ses cohortes et s'était dépêché de retourner à
Castlerork ; tout le monde était déçu car le sang n'avait
pratiquement pas coulé, aucun guerrier n'était tombé au combat, le
butin quasi inexistant, et surtout les femmes boudaient les hommes
pour cette campagne avortée. Au conseil, les lieutenants
s'attendaient à ce que leur chef leur révèle les raisons de ce
retour. Mega commença par écouter les Gob-mails de ses espions au
sujet du clan des Orques Hideux. Quand il apprit que Machma s'était
offert les services des plus grands maîtres d'armes du Mordork, il
s'écria en tapant du poing sur son messager :
– Je
le savais ! Ce salaud prépare quelque chose !
Son
fidèle lieutenant Semiremork, un Orque aussi immense que balourd,
demanda :
– Peut-être
que Machmalork prépare un concours…
– Non,
tu n'as rien compris, ce fourbe veut entraîner ses guerriers dans le
but de nous écraser. Je vois clair dans son jeu.
Diabolork,
son fils, avait hérité de certaines qualités paternelles, comme la
sournoiserie et la piperie, mais sans sa mégalomanie, au grand dam
du seigneur de guerre. Le garçon rêvait d'aventures et de voyages,
les ambitions impérialistes du vieux le gavaient et c'est d'un
“Pfff” sonore qu'il réagit aux propos de son père. Celui-ci se
tourna vers lui et d'un air sévère, lui adressa cette réprimande :
– Pfff
? On ne fait pas Pfff quand je parle, fils dégénéré !
– Ne
trouvez-vous pas, mon père, que vous allez un peu loin dans les
déductions ? Ça fait théorie du complot.
– Tu
insinues que je n'ai rien compris aux manigances de Machmalork ? Tu
penses peut-être que du haut de tes dix-huit ans, tu sais tout sur
tout ? Alors puisque tu le prends comme ça, c'est à toi que je
confie la mission.
– La
mission ? Quelle mission ? demanda Diabolo.
– Tu
vas te rendre incognito chez les Orques Hideux, sympathiser avec les
proches de Machma et découvrir quels sont ses projets d'invasion. Je
veux tout savoir : combien de cohortes, nombre de ballistes,
d'onagres et de trébuchets, jusqu'à la quantité de valets
gobelins, d'auxiliaires hobgobelins et demi-orques, tout !
– Pfff
!
– Aller,
tu y vas ou je te confisque ta Wiik2.
Le
jeune orque se leva, acquiesca parce qu'il n'avait plus le choix et
sortit sans dire un mot. Père lui ordonnait de se préparer sur le
champ, père décidait toujours de tout pour lui, père l'étouffait
de son autorité, et en plus rien de ce qu'il faisait n'était jamais
assez bien pour lui. Diabolo fit harnacher son tyramouth par son
écuyer hobgobelin et partit dessus en direction de la vallée des
désespérés. Seul point positif : il était sur la route, seul,
sans personne à lui donner des ordres.
1Discipline
sportive orque. Les Hobbits sont catapultés après être tombés
par une trappe, et on les vise à la balliste, d'où le nom de
balliste-trappe, qui a donné “ball-trap” (Encyclopédie
Melnibonéenne, volume 3, page 19).
2Wiik
: jeu ensorcelé
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